La fin d’une époque, le début d’une autre…
En 1977, le rock progressif est en perte de vitesse. En cause, l’avènement du mouvement punk en Angleterre. Dès 1976, les premiers groupes punk rock débarquent en effet, principalement en Grande-Bretagne mais aussi aux USA, en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Japon, au Brésil, bref, un peu partout dans le monde…
Cette situation dans laquelle se trouvait le Royaume-Uni à l’époque a été un terrain fertile et un moteur pour l’émergence du mouvement punk.
Déjà en opposition avec le mouvement hippie et les illusions naïves du flower power, le mouvement punk s’inscrit dans un courant de révolte contre un système établi et une morale bourgeoise qui ne lui offrent aucun avenir. On a souvent tendance à caricaturer les punks par le slogan “No future”, mais si l’on fait bien attention aux paroles du God Save The Queen des Sex Pistols (1977), on entendra d’une part “There’s no future – No future – No future for you” et d’autre part, un peu plus loin, “We’re the flowers – In the dustbin – We’re the poison – In your human machine – We’re the future – Your future”. Slogan qui s’adresse, bien entendu, aux esprits bien-pensants de tout poil…
C’est aussi une révolte culturelle contre l’ennui, l’asphyxie ainsi que les “tromperies ringardes” comme, par exemple, la disco que les punks considèrent comme un simple amusement frivole et inutile, lobotomisant le peuple en prônant la culture du corps au détriment de celle de l’esprit.
Le punk est aussi un mouvement où le DIY devient la norme. D’où, par exemple, le raz-de-marée de fanzines le plus souvent tirés en photocopie. De plus, la musique est aussi une alternative à la pénurie d’emploi(s) : plutôt que zoner dans les pubs et dépenser les quelques livres qu’il leur reste, de nombreux jeunes chômeurs créent leur groupe même en ne sachant pas jouer de musique et en l’apprenant sur le tas. Autre forme de DIY, d’une certaine manière.
D’un autre côté, une bonne partie de l’opinion critique anglaise se tourne petit à petit vers ce style de rock plus épuré, plus basique, agressif, mais principalement plus accessible. On a alors tendance à renier le prog rock en le qualifiant de prétentieux, de pompeux. Les médias se dirigent radicalement vers d’autres horizons musicaux et tournent le dos à ce genre qui tombe petit à petit en désuétude.
Cet état des choses a fait que certains groupes ont définitivement arrêté leur activité, comme Gentle Giant par exemple qui, après trois albums orientés plus pop, se sépare en 1980. D’autres ont continué, sans parvenir à reconquérir le grand public, même en rendant leur style plus accessible. On pense directement à Yes et a son Owner of a Lonely Heart (1983) qui cherche à s’inscrire dans la vague new wave sans vraiment y parvenir. Eloy, le groupe allemand créé en 1969 et qui survit toujours, produisant régulièrement des albums n’a, à mon avis, plus qu’une audience relativement confidentielle. Tout comme Camel, séparé en 1984 puis reformé en 1991, qui reste totalement dans la confidentialité aujourd’hui.
King Crimson, ELP (Emerson, Lake & Palmer), Jethro Tull et quelques autres gardent leur public et leurs fans inconditionnels. Van der Graaf Generator qui a repris ses activités en 2005, 27 ans après leur seconde séparation, jouit aujourd’hui du statut de groupe culte. Leur tournée d’adieux s’est d’ailleurs terminée par un concert à Louvain ce 25 mai 2022.
Par contre, certains groupes ont réussi à rester dans la course. C’est le cas de Genesis, même si le départ de Peter Gabriel et l’influence ainsi que la personnalité de Phil Collins ont fait de Genesis un groupe de pop mainstream alors qu’il avait été un des précurseurs du prog rock quelques années plus tôt. C’est également le cas de Jethro Tull, qui est passé du pop rock progressif au folk rock pour en arriver au hard en passant par des tendances électroniques.
Si la tendance n’était plus au prog rock à la fin des seventies comme on vient de le voir, le groupe a sorti son album The Wall en 1979, album qui est aujourd’hui le 3e disque de “hard rock / metal / punk” [sic] le plus vendu au monde avec 23 millions d’exemplaires, juste après le Led Zeppelin IV, avec 24 millions, alors que Back in Black d’AC/DC cartonne avec 25 millions d’exemplaires.
Enfin, de nouveaux groupes sont aussi apparus, se sont formés, comme par exemple en 1979 un groupe anglais d’Aylesbury, au nord-ouest de Londres, que l’on considère aujourd’hui comme le fer de lance du renouveau de rock progressif, Silmarillion. Comme on le sait, ce nom est une référence au titre du livre de J.R.R. Tolkien, Le Silmarillion, qui retrace la genèse et les premiers Âges de l’univers de la Terre du Milieu. Très vite pourtant, le groupe se dégage de ses influences à l’imaginaire tolkinien et raccourcit son nom en Marillion. Avec d’autres comme Pendragon, Pallas, Twelfth Night ou IQ, ce groupe sera à l’origine du style dit néo-progressif ou neo-prog.
Et d’autres exceptions confirment la règle : ce n’est pas parce que personne ne s’intéresse plus au prog-rock qu’il ne faut pas en faire. Et même en faire des variations sur le thème. Rush, dont j’ai déjà parlé plus avant, et Dream Theater se lancent eux aussi dans le progressif sans se soucier du fait que l’intérêt pour celui-ci décline. Ils y ajoutent une bonne cuillerée de heavy metal, et le tour est joué : nous avons maintenant un nouveau sous-genre, le metal progressif.
Ce qui nous amène tout naturellement aux nombreuses déclinaisons du hard rock…
Fantasy et metal : un alliage inoxydable…
Prenons notre machine à remonter le temps et reportons-nous à la fin des années 60’s.
1968 : l’année des assassinats de Martin Luther King et de John Fitzgerald Kennedy.
1968 : les Beatles passent deux ou trois mois à Rishikesh, une ville indienne au pied de la chaîne de l’Himalaya et au bord du Gange pour recevoir l’enseignement du gourou Maharishi Mahesh Yogi, père et promoteur de la méditation transcendantale, ça ne s’invente pas…
1968 : Le flower power bat son plein et la guerre du Vietnam en a encore pour 7 ans…
1968 : Canned Heat sort son mythique On the Road Again tandis que de l’autre côté de l’Atlantique Night in White Satin des Moody Blues arrive en 6e place dans le hit-parade belge.
1968 : Born to be Wild du groupe canadien Steppenwolf sort en juin. Un texte de Mars Bonfire chanté par John Kay. Second couplet du morceau : “I like smoke and lightnin’ – Heavy metal thunder – Racing with the wind – And the feeling that I’m under”.
Dans ce morceau qui fera figure dans la culture populaire d’hymne pour les bikers, ce lourd tonnerre métallique qui fait référence au grondement des moteurs de motos est aussi la première rencontre de deux mots qui vont rester accolés à jamais dans l’histoire du rock : heavy + metal…
Oui oui, c’est de là que ça vient, vous ne saviez pas ?
En plus du blues-rock, du proto-prog, du garage rock ou du rock psychédélique, deux nouveaux courants commencent à se tailler leur place : le hard rock et le heavy metal. 1968 a d’ailleurs vu naître un grand nombre de groupes qui ont créé et marqué l’histoire des deux genres. Rien que durant cette année, en hard rock on découvre Deep Purple, Iron Maiden, Nazareth, Rush, Grand Funk Railroad, et, en heavy metal, Accept, Back Sabbath ainsi que des hybrides comme UFO et Sir Lord Baltimore, à la frontière des deux styles, ou encore Led Zeppelin qui jongle avec l’un et l’autre sans renier le blues-rock et le folk-rock.
Peut-être faut-il faire une petite parenthèse pour expliquer plus ou moins les différences entre le hard rock et le (heavy) metal : le HR s’inspire directement du blues et du blues rock en utilisant des gammes pentatoniques mineures qui sont largement employées dans le blues et le rock’n’roll, tandis que le HM s’oriente vers des rythmiques lourdes et puissantes qui l’éloignent de la figure rythmique classique du blues, le shuffle. Une autre vision des choses est celle de Lester Bangs, journaliste et critique musical américain : selon lui, le hard rock se définirait avant tout comme une musique des années 1968 à 1976 tandis que le heavy metal, lui, serait plus une question de look et d’attributs stylistiques (cuir, clous, etc.) et une question de thèmes abordés dans les morceaux tels que l’horreur et la SF. Le sujet est un débat depuis des décennies. Jusque dans les années 90, seuls les puristes faisaient la différence alors que le grand public ne connaissait que le genre hard rock. Aujourd’hui, un seul mot regroupe un peu tout de manière simpliste : le metal. Il faut dire que l’article français de Wikipédia “Liste des genres de heavy metal” cite 51 genres et sous-genres, allant du viking metal au nintendocore en passant par l’unblack metal – ou black metal chrétien ! Et j’imagine qu’il y en a encore pas mal d’autres, de quoi se prendre la tête quand on n’est pas docteur es metal…
Mais revenons à nos moutons, même si, il faut bien le dire, les hard-rockers ont plus tendance à se considérer comme des loups plutôt que des représentants de la race ovine !
C’est surtout dans les années 80 que la fantasy est devenue un des thèmes importants du hard rock et principalement du heavy metal.
De plus, l’imaginaire de la bande dessinée et de l’illustration est bien présent.
Des artistes sont régulièrement sollicités pour réaliser les designs des pochettes de hard et de metal. C’est, entre autres, le cas de Frank Frazetta, probablement un des plus célèbres du genre, à qui l’on doit une grande partie des pochettes de Molly Hatchet, ainsi que pour Dust, Nazareth, Wolfmother ou Yngwie J. Malmsteen’s Rising Force. Son neveu, Ken Kelly, a quant à lui travaillé pour Manowar, Kiss ou encore Rainbow.
Tandis que Paul Raymond Gregory, qui a beaucoup travaillé sur l’œuvre de Tolkien, est l’illustrateur d’albums de Saxon, Uriah Heep, Blind Guardian et, une fois de plus, Molly Hatchet…
Et c’est le cas d’Helloween, groupe allemand de speed metal, dont Keeper of the Seven Keys Part 1 renoue carrément avec le principe du concept album des années 70. Sorti en 1987, ce disque devait à l’origine être un double album, mais le label, jugeant que cela pourrait être un échec commercial, a préféré le sortir en deux simples. Keeper of the Seven Keys Part 2 sortira donc l’année suivante. La combinaison de riffs mélodiques avec d’autres caractéristiques du speed metal fait que ce groupe est aujourd’hui considéré comme fondateur du speed mélodique. Les thèmes, relativement manichéens, se rapportent aux conséquences déplorables de l’exploitation des humains par d’autres, à l’autodestruction de l’humanité ainsi que des quêtes qui viseraient à délivrer la planète de son inévitable destin, tout cela dans une ambiance fantastico-médiévale dans laquelle les guitaristes s’affrontent dans des duos/duels qui symboliseraient le combat habituel entre le Bien et le Mal. Un coup d’oreille sur le morceau Keeper of the Seven Keys, avant-dernier morceau de la “suite” d’une durée de, accrochez-vous, 13 minutes 38 secondes : après une introduction folkisante d’une quarantaine de secondes, une voix hyper-aigüe et chevrotante démarre, soutenue par des riffs touffus à l’extrême de deux guitares. Vers les 8 minutes 15″, quelques lignes mélodiques qui rappellent furieusement la guitare de David Gilmour sur Shine on you Crazy Diamond (Pink Floyd – 1975) avant d’en arriver au passage de bravoure, à savoir, deux minutes plus tard, la confrontation guitaristique entre Michael Weikath et Kai Hansen armé, lui, d’une horrible Flying V. Et ce sera à qui joue le plus vite !
Puis, rapidement après les sept clés, ce sera le tour d’un septième fils d’entrer dans la légende du hard rock avec les increvables incontournables Anglais d’Iron Maiden.
On ne présente plus Iron Maiden. Ni d’ailleurs Edward “Eddie” The Head, la “mascotte” qu’ils arborent depuis plus de 40 ans, ce visage de mort-vivant décharné – qui a, il faut le dire, évolué avec le temps – issu de l’imagination de Derek Riggs, l’illustrateur de toutes les pochettes du groupe, à quelques exceptions près. Pour rappel, le nom du groupe vient d’un soi-disant instrument de torture qui daterait du Moyen Âge, la Vierge de Fer.
Peu de temps après l’invasion germanique d’Helloween et de son gardien des sept clés, riposte britannique d’Iron Maiden, donc, avec le pilote (de ligne, oui oui ! et escrimeur, et animateur radio…) Bruce Dickinson aux commandes : Seventh son of a seventh son sort en 1988. Trois morceaux s’inspirent ouvertement du cycle de l’écrivain de fantasy Orson Scott Card débuté en 1987 : The Tales of Alvin Maker (en français : Les Chroniques d’Alvin le Faiseur). Et, comme par hasard, on retrouve des influences puisées dans un roman de fantasy : Moonchild, écrit en 1917 par, devinez qui ? Aleister Crowley, once again !
Il faut dire aussi que les inspirations de la jeune fille de fer sont multiples (jeune fille de fer à ne pas confondre avec la dame de fer, soit Margaret Thatcher qui apparaît d’ailleurs sur les pochettes des singles Sanctuary et Women in Uniform).
Et ces inspirations sont très littéraires, ce que l’on aurait tendance à zapper. Indépendamment des références à la Bible et à l’Apocalypse, ce qui semble logique, à la mythologie et l’histoire, sans compter le cinéma et les séries, il ne faut pas oublier que les textes d’Iron Maiden font aussi également référence à nombre d’écrivains tels que William Shakespeare (The Evil that Men Do sur l’album Seventh Son of a Seventh Son est une phrase tirée du discours de Marc Antoine aux funérailles de Jules César – scène 2 de l’acte 3), Gaston Leroux (et son Fantôme de l’Opéra), Edgar Allan Poe (The Murders in the Rue Morgue sur l’album Killers), Frank Herbert (To Tame a Land d’après Dune sur l’album Piece of Mind), et aussi Alfred Tennyson, Samuel Taylor Coleridge, Umberto Eco, William Golding, Aldous Huxley (un album Brave New World, ça ne trompe pas !) ou encore Miyamoto Musashi.
De plus, même si le succès du Keeper d’Helloween est nettement plus confidentiel, sauf en Allemagne, bien entendu, (mais aussi en Suisse, en Suède et, étrangement, au Japon) les rapides riffs de guitare vont donner à d’autres hard rockers l’envie de se lancer eux aussi dans l’aventure et de sortir des albums avec le même genre de structure, soit sur un “scénario” original, soit en s’inspirant d’œuvres littéraires, comme c’est le cas de leurs concitoyens de Krefeld, Blind Guardian qui, en 1998 sortent leur Nightfall in Middle-Earth, concept-album directement inspiré du Silmarillion de Tolkien dont il a déjà été question. L’illustration de la pochette représente Lúthien dansant devant le trône de Morgoth, c’est tout dire !
Le groupe s’inspire également des grandes sagas ou épopées comme l’Illiade, un des ouvrages du cycle troyen d’Homère (VIIIe siècle av. JC), ainsi que des romans fantastico-médiévaux tirés du jeu de rôle Donjons et dragons novélisés sous le titre Dragonlance (Lancedragon en français – 1984).
Et pour rester encore un peu au pays des Nibelungen, il faut noter que le quatrième album de Gamma Ray, Land of the Free est considéré comme un concept album qui raconte la rébellion du Bien contre le Mal. Avec ce thème déjà abordé par Helloween, on ne s’étonne bien entendu pas de retrouver Kai Hansen à la guitare et aux vocaux.
Le groupe reprend aussi les ingrédients nécessaires aux musiques de films de fantasy comme, par exemple, ajouter des chœurs en latin afin de donner un petit effet archaïque et magique.
À noter également que Rhapsody s’est offert en 2004 la participation de Christopher Lee pour la voix du Wizard King pour l’album The Dark Secret. Coup de pub, bien entendu : devinez qui se trouve sur la face avant de la pochette ?
Heavy Metal et fantasymages…
Comme nous l’avons vu plus haut, l’illustration des pochettes a aussi un rôle majeur dans l’imagerie fantasy dans ce que j’appellerai génériquement le “heavy metal”, même si le terme n’est pas totalement approprié.
Voici donc une petite brochette de thèmes récurrents : les monstres et les créatures imaginaires, les démons, les magiciens, les squelettes et/ou crânes, les cadavres, les paysages étranges ou pseudo-médiévaux et du sang, beaucoup de sang…
On remarquera que la plupart des pochettes sont l’œuvre d’illustrateurs, de dessinateurs ou de peintres et plus rarement celle de photographes.
De plus, le quatuor américain n’hésitait pas à se présenter sur scène dans le même genre de tenue dévestimentaire. On peut d’ailleurs imaginer qu’avec le temps, ils ont remonté jusqu’au cou les fermetures éclair de leurs cuirs…
Plus rares sont les groupes féminins ou les musiciennes qui jouent de cette imagerie, comme le fait malgré tout the Metal Queen, alias l’Allemande Dorothee Pesch plus connue sous le nom de Doro.
Et puis…
Aujourd’hui encore, l’imaginaire véhiculé par le metal et ses nombreux avatars ou sous-genres contemporains est bien ancré dans la fantasy par les éléments scéniques, scénaristiques et autres auxquels il fait appel. Dans les plus gothiques, les plus hardcore, les plus décalés des groupes de metal, on retrouve des traces de Lovecraft ou de ses monstres, on retrouve des traces des démons que craignaient nos ancêtres du Moyen Âge, on retrouve des traces des grandes sagas et aventures épiques des Vikings ou autres peuplades qui en ont été les héros, on retrouve des traces d’un imaginaire qui date autant du XIXe siècle de Mary Shelley et du roman gothique que des épopées grecques d’Homère ou sumériennes mettant en scène Gilgamesh de nombreux siècles avant notre ère.
On retrouve aussi des traces d’écrivains plus récents, comme Tolkien, pour revenir encore et toujours à lui. On ne compte plus le nombre de groupes qui ont emprunté des noms à ses romans. Comme je le disais dans la première partie, plus de 20 groupes portent le nom de Mordor à travers le monde. Et je pense que j’en oublie plusieurs dizaines d’autres. Minas Tirith apparaît dans un paquet de titres et dans le nom de 7 groupes au moins… Je pourrais continuer cette liste, en parlant des Bilbo qui ont pris ce pseudo en hommage. De tous ces Sauron, groupes ou musiciens… Sans compter des exemples comme Summoning, groupe viennois de black metal (actif depuis 1993) : leur premier album, Lugburz (1995) a la particularité d’emprunter les titres et paroles de morceaux à l’univers tolkinien, de même que les illustrations. Lugburz est le nom donné par les Orques à la tour de Barad-dûr. Pas étonnant que leur deuxième et troisième albums s’appellent respectivement, en 1995 et 1996, Minas Morgul (une cité fortifiée dans la Terre du Milieu… et également un groupe de black metal allemand !) et Dol Guldur (une forteresse de Sauron au sud-ouest de la Forêt Noire dont le nom signifie “Colline de la Sorcellerie”).
On peut citer Amon Amarth, groupe de death metal suédois qui tire son nom du volcan au nord-ouest de la Terre du Milieu et de Mordor. La musique du groupe se base principalement sur des thèmes guerriers vikings.
Le chanteur du groupe de metal Dimmu Borgir au look sombre et médiéval s’appelle, enfin se fait appeler, Shagrath, comme l’orque Uruk du Mordor qui commande une troupe stationnée dans la tour de Cirith Ungol.
Le norvégien Varg Vikernes, avant Burzum son projet solo de dark metal et dungeon synth, jouait dans le groupe Uruk-Hai, race orque de Tolkien. Dans ce projet qui tire son nom de l’inscription dans l’Anneau unique, Vikernes adopte le pseudonyme de Count Grishnackh, Grishnákh étant un Orque au service de Sauron. Si Burzum est – tristement – célèbre, c’est d’abord parce que Varg Vikernes participe en 1994 à plusieurs incendies d’églises en bois (dont certaines dataient du Moyen Âge) et qu’il assassine Øystein Aarseth alias Euronymous, le leader du groupe Mayhem, norvégien lui aussi.
Petite parenthèse concernant le dungeon synth : il s’agit d’un genre électronique qui est né dans les années 90 grâce à quelques musiciens de la scène black metal. On y retrouve des influences du black metal, bien entendu, mais aussi de la musique de films de fantasy et de bandes sons d’anciens jeux vidéo genre RPG, à savoir jeux de rôle. Les influences plus récentes de la musique médiévale se retrouvent chez certains artistes estampillés dungeon synth. Ce genre s’apparente parfois à la darkwave et au dark ambient, termes qui se comprennent par eux-mêmes. Les pionniers que l’on cite en général viennent tous de la scène norvégienne black metal, à savoir Burzum, bien entendu, Wongraven et Mortiis.
Quant à Shub-Niggurath, la semi-divinité extraterrestre qui apparaît pour la première fois en 1929 dans The Dunwich Horror (L’Abomination de Dunwich), on trouve aussi bien du death metal mexicain que du progressif avant-garde français. Ou encore deux guitaristes de metal, l’un français, l’autre brésilien qui ont chacun pris ce pseudonyme…
Sans avoir recours à un nom de groupe tiré de l’œuvre de Lovecraft, Black Sabbath s’en est inspiré. J’ai déjà fait référence à son Behind the Wall of Sleep dans la première partie, si vous avez bien suivi. Quant à Metallica, deux hommages à la monstrueuse entité cosmique, Cthulhu : The Call of Ktulu sur leur second album (Ride the Lightning – 1984) et The Thing That Should Not Be sur Master of Puppets, troisième album de 1986.
Bien entendu, beaucoup d’autres références au Maître de Providence sont ici impossibles à recenser, tellement il y en a. Je ne vais donc pas me lancer dans cet exercice épuisant. Pour vous comme pour moi.
Reste le cas de Madame Rowling et de son Harry le Potier. Faut dire que, là aussi, beaucoup se sont lancés à cœur joie dans les références au héros d’une des personnalités les plus riches de la planète, à savoir Joanne Rowling, alias J.K. (prononcez “d’jay kay”), dont la fortune estimée à €743,000,000 en 2021 dépasse celle d’Elizabeth II.
Faut avouer que l’ado sorcier H.P. a fait des ravages dans le monde de la littérature. H.P. a engendré une sous-culture hyperactive de fans inconditionnels dès son apparition en 1997. Ce qui a généré un certain nombre de groupes qu’on peut qualifier de DIY (Do it yourself / Faite-Le Vous-même), genre “on va faire ce qu’on peut”. Cette scène musicale hétéroclite a été baptisée “wizard rock”. Scène qui sévit d’ailleurs toujours aujourd’hui.
Un des premiers à s’être intéressé au thème poudlardien est le groupe post-punk Switchblade Kittens avec leur Ode to Harry (2000).
Et c’est comme cela qu’Harry and the Potters est né. Depuis, ils ont joué dans tous les États-Unis, dans des cours de récré ou des bibliothèques et ont également fait une tournée en Grande-Bretagne en 2005, en jouant principalement, ce qui paraît logique, dans des librairies. D’une certaine manière, ce groupe est super intéressant, vu qu’ils n’ont heureusement pas l’air de se prendre trop au sérieux. Je n’ai pas pris la peine d’analyser leurs textes, mais leur musique s’apparente un peu à la Danielson Famile sans, malgré tout, le second degré, avec de temps à autre un petit côté christian pop dans lequel Jésus aurait des lunettes rondes et une cravate bordeaux à rayures jaunes…
Depuis, la “wrock” – wizard rock pour les initiés – s’est développée au point que la Wizrocklopedia (oui oui ! ça existe !) recense pas loin de 880 groupes dont, entre autres, Draco and the Malfoys qui, dans leur morceau All I want for Christmas, demande à Voldemort : “Oh, Voldemort, there’s one thing I want you to bring me for Christmas this year, it’s to make Harry Potter disappear”, The Whomping Willows avec une reprise de Mickey de Tony Basil (1981) dont ils ont juste trafiqué les lyrics pour en faire Hey Remus 27 ans plus tard… Puis aussi The Remus Lupins, DJ Luna Lovegood et tout un paquet de groupes qu’on peut retrouver sur les albums et compilations signalées sur le blog Your Wizard Rock Resource : The International Home of Music About Harry Potter. Il y en aura pour tous les goûts ! Promis… (yourwizardrockresource.wordpress.com)
Bien entendu, pour le plaisir des yeux, beaucoup de groupes se présentent sur scène dans les costumes adéquats, potteresques à souhait. La magie des groupes de wrock !
Et enfin…
En conclusion, on peut dire que Tolkien, Lovecraft et Rowling ont inspiré pas mal de musiciens qui se sont plongés dans les mondes imaginaires que ces trois écrivains ont construits. Bien entendu, il y en a d’autres, mais c’est principalement ces trois personnes qui ont le plus marqué le rock dans plusieurs de ses domaines. On remarquera aussi que chacun a puisé dans les œuvres ce qui lui correspondait le mieux, à savoir que la fantasy met pratiquement à chaque fois le bien et le mal en opposition, les bons contre les mauvais, les doux face aux violents. C’est dans le metal que le côté obscur ressortira de manière évidente. Si un groupe de black metal se revendique d’inspiration tolkinienne, par exemple, ce ne seront pas des elfes, des Hobbits, ni de Bilbo que parleront leurs textes, mais bien de Sauron, des Orques, des Balrogs ou des Nazgûl. Tout comme de Voldemort pour les groupes H.P. et de Cthulhu de Lovecraft.
En étant loin d’être la source d’inspiration principale du rock et de ses nombreux genres et sous-genres, voir sous-sous-genres, la fantasy et l’univers du merveilleux – dans le sens large du terme – sont malgré tout bien présents. Et il y en a pour (presque) tous les goûts, bien sûr, depuis le folk gentil et doucereux jusqu’au black metal sombre et hargneux, en passant par le progressif surcomposé et parfois un rien prétentieux.
Comme le disent les Harry and the Potters dans leur morceau Voldemort Can’t Stop the Rock :
We all know that there is nothing we like more
Than watching the wizards rock it out like this.
Pour prolonger : téléchargez ici la discographie des oeuvres citées dans cet article.
Jean-Pierre Devresse