Virginie Grimaldi est « l’autrice préférée des Français » (2022). Chacun de ses romans connait un succès ahurissant, bénéficiant de rééditions au format poche et de traductions dans de nombreuses langues étrangères. Cette autrice incarne un véritable phénomène littéraire qui s’est établi en France ces dernières années : le feel-good.
Comment expliquer le succès, toujours plus considérable depuis 2015, de ce genre contemporain feel-good ? Quels en sont les instruments et les caractéristiques ? Pour comprendre le succès phénoménal du feel-good ainsi que sa place dans le champ littéraire contemporain, nous nous focalisons sur une œuvre-phare du genre, celle de Virginie Grimaldi, Le parfum du bonheur est plus fort sous la pluie, parue le 3 mai 2017.
Le genre du feel-good, qu’est-ce que c’est ?
Les classements des meilleures ventes établis par le magazine professionnel Livres Hebdo ne cessent de prouver le succès du feel-good, tout comme l’émission « Le livre favori des Français », qui a eu lieu en décembre 2022. Le genre serait la réponse au besoin de se sentir mieux éprouvé par une partie du lectorat contemporain qui semble élevée, selon les chiffres de ventes du feel-good. Alors que la crise économique fait rage et que des guerres continuent d’avoir lieu partout dans le monde, jusqu’aux portes de l’Union européenne, les lecteurs, en particulier les lectrices, semblent se tourner vers des romans qui « font du bien », en quelque sorte des livres-recettes qui les aideraient à approcher le bonheur.
Certaines constantes peuvent être relevées au sein de ces livres que l’on regroupe sous l’étiquette feel-good. Souvent écrit par des autrices (citons notamment Virginie Grimaldi, Agnès Ledig, Agnès Martin-Lugand, Valérie Perrin ou encore Mélissa Da Costa) et visant un public plutôt féminin, le feel-good en tant que genre littéraire se caractérise par un réalisme, un investissement dans les personnages, des schémas narratifs et stylistiques assez simples et conventionnels, le tout accompagné de thèmes et de références universels, ou du moins contemporains.
Les histoires feel-good possèdent un message clair, sorte de philosophie de vie, souvent déjà amené par le titre long et évocateur. Citons notamment Les gens heureux lisent et boivent du café d’Agnès Martin-Lugand ou Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une de Raphaëlle Giordano.
Un cas typique
Le récit se focalise sur l’héroïne, Pauline, qui tente de récupérer son mari, Ben, qui l’a quittée. Elle retourne vivre chez ses parents avec leur jeune fils de quatre ans, Jules et décide d’envoyer des lettres à son mari pour lui rappeler leurs souvenirs communs. À la trame narrative principale, qui suit la dépression et le chagrin d’amour de Pauline exprimés à travers diverses séances chez le psychologue, s’ajoute l’histoire familiale de l’héroïne. Beaucoup de mystères et de rebondissements se suivent alors que toute la famille part en vacances. Des règlements de compte en tout genre ont lieu sur la base de ces révélations. À la fin du récit, Ben écrit à son tour des lettres à sa femme pour lui rappeler des souvenirs plus douloureux, occultés par l’héroïne, qui ont créé cette distance entre eux, plus particulièrement la perte de leur fille, Ambre. La remémoration de toutes ces difficultés va aider Pauline à les surmonter. Finalement, les époux signent les papiers du divorce et Pauline quitte le havre de ses parents pour emménager dans une nouvelle maison avec son fils.
Même si elle n’a pas pu restaurer sa relation amoureuse, la protagoniste s’est réconciliée avec elle-même, avec sa famille, et a appris à lâcher prise. Le schéma narratif est donc bien celui qui démarre d’un état de vie perturbé, en l’occurrence une dépression à la suite d’une rupture et de la perte d’un enfant, à un état de vie stabilisé, où Pauline reprend gout à la vie. L’histoire se termine avec un certain degré d’espoir et la possibilité de sortir grandi des difficultés initiales : Pauline peut donner du sens à l’expérience qu’elle a vécue. À travers une palette d’émotions, Virginie Grimaldi présente dans ce récit une femme ordinaire qui, le temps d’un roman, doit changer, rater, apprendre, et recommencer. La psychologie des personnages est donc un élément-clé du récit : le récit est centré plutôt sur les sentiments de la protagoniste, plus que sur une action déterminée.
Virginie Grimaldi intègre à ce récit ses talents de dialoguiste et son sens de la « bonne formule » qui transmettent un effet oral et familier à son récit. En outre, le vocabulaire, les constructions de phrases et les figures de style, comme les comparaisons, sont accessibles à tous. L’humour, le soupçon de bons sentiments, la dérision du ton et la simplicité du style semblent être les maitres-mots de l’écrivaine.
Les thèmes que l’on retrouve dans ces histoires feel-good sont, entre autres, le couple (hétérosexuel, issu de la classe moyenne, souvent avec des enfants), la famille, le travail, ou encore l’argent. Dans Le Parfum du bonheur est plus fort sous la pluie, le thème principal est la rupture de Pauline et de son mari, qui demande le divorce. La question de la maternité est aussi primordiale, et est développée à travers la perte d’un enfant, la difficulté à avoir un enfant et la relation entre un enfant et sa mère. Les thématiques modernes permettent également une immersion fictionnelle : les personnages, le plus souvent des femmes, connaissent des difficultés qui se veulent universelles, ou en tout cas en phase avec leur époque. Le monde que l’on retrouve dans ces récits est toujours vraisemblable et comparable à celui d’un lecteur ou d’une lectrice de la classe moyenne. L’ancrage dans notre société est donc un élément phare des romans feel-good. Dans Le parfum du bonheur est plus fort sous la pluie, nous retrouvons des problèmes familiaux (l’alcoolisme du père de l’héroïne, les tensions avec sa mère, sa grand-mère et sa sœur), la question du temps qui passe (les parents qui vieillissent, les enfants qui grandissent vite), celle de l’argent (la représentation de la classe moyenne par Pauline face à sa sœur qui a marié un riche homme d’affaires), et la mort d’un proche. Les valeurs que ce récit met en avant sont très fédératrices : il parle avant tout d’amour, d’amitié, de famille, d’acceptation et d’espoir. Il est néanmoins quelque peu paradoxal de constater l’« universalisme » affiché des valeurs du récit face à l’encrage sociologique des personnages mis en scène par l’autrice, et de Grimaldi elle-même : la réalité socio-culturelle qui est mise en évidence est avant tout féminine et issue de la classe moyenne, comme celle du public visé. En effet, les personnages de l’autrice, à la vie assez commune d’un point de vue sociologique, pourraient être les voisines, les amies, les collègues, les nièces de millions de lectrices.
Aujourd’hui, il est rare de trouver une maison d’édition qui ne publie pas quelques romans grand public, et plus particulièrement du genre feel-good. Parmi celles qui se sont spécialisées dans ce genre, nous pouvons citer les maisons d’édition Charleston, Milady ou Eyrolles, mais même les grandes maisons d’édition comme Michel Lafon, Hachette Romans ou Albin Michel s’intéressent à ce genre.
Une posture d’autrice feel-good
La posture auctoriale de Virginie Grimaldi se construit à travers ses apparitions publiques, ses discours, ses interviews, le contenu de ses romans et ses engagements extra-littéraires. Dans ceux-ci, Virginie Grimaldi semble principalement incarner la modestie, l’authenticité, la bienveillance et la disponibilité. C’est ce que Meizoz nomme « l’éthos discursif de l’homme simple et sincère » : l’écrivaine travaille à se donner l’image d’une femme ordinaire, semblable à ses lecteurs et surtout à ses lectrices, qui leur dit les choses naturellement, telles qu’elles sont. L’autrice entretient une proximité avec elles lors des séances de dédicaces, mais aussi et surtout sur les réseaux sociaux.
En effet, le rôle des réseaux sociaux est à prendre en compte dans la construction de la posture de l’autrice, qui semble maitriser les codes de l’ère médiatique dont elle fait partie. Grimaldi entretient sa communauté, et en conséquence une relation auteur-lecteur spéciale, sur Facebook et sur Instagram, où elle échange, de façon plaisante, avec les internautes. Elle se confie plus personnellement et partage des fragments de sa vie, principalement des anecdotes du quotidien avec ses amis et sa famille. Les confidences et les moments « intimes » qu’elle publie sur les réseaux sociaux lui permettent de créer son storytelling et laissent à ses lecteurs l’impression de la connaitre intimement.
L’autrice construit également sa posture à travers le choix des valeurs et des thèmes qu’elle intègre à ses romans. Les narratrices deviennent en quelque sorte les intermédiaires entre l’autrice et ses lecteurs. Les romans de Virginie Grimaldi recèlent de nombreuses réflexions morales qui cadrent avec la philosophie de vie de l’écrivaine. Ils évoquent presque tous les thèmes de la sororité, de la sollicitude, de la bienveillance, des liens familiaux forts, de l’amour et de l’amitié.
En outre, la posture de Grimaldi s’établit aussi en fonction de son genre. En effet, elle écrit principalement pour un lectorat féminin, d’où ses romans très empathiques et immersifs. D’après la chercheuse Diana Holmes, sa célébrité est nourrie par la fascination des médias pour les femmes modestes souvent issues de la classe moyenne, sans prétention.
Stratégies de ventes des livres feel-good
Si la réputation de l’auteur et de sa maison d’édition sont des instruments importants du succès, le livre en lui-même et le marketing éditorial qui l’entoure y sont également pour beaucoup. Comprendre les stratégies de vente du feel-good parait primordial pour approcher le genre.
Les libraires n’ont pas pu passer à côté du phénomène fulgurant des livres feel-good. Ceux que nous avons interrogés dans le cadre de notre recherche ont affirmé que la part des livres feel-good dans leurs chiffres de ventes n’est pas dédaignable. Qu’ils les apprécient ou non, les libraires savent qu’ils plaisent à leur clientèle sans qu’ils aient besoin de les défendre ou de les promouvoir. Pas besoin de placer les feel-good en vitrine : leur succès est assuré avant même d’entrer en librairie, notamment grâce aux réseaux sociaux.
Qu’en pensent la critique et le public ?
Pour étudier la réception du genre feel-good et des romans de Virginie Grimaldi, nous avons lu un corpus non-exhaustif d’articles publiés à leur propos dans les médias. L’analyse de la réception par les critiques permet de constater que les avis s’opposent : certains critiques applaudissent la sincérité, l’humour ou encore l’écriture sensible et juste de Grimaldi, mais la plupart déplore la caricature de ses personnages, les clichés omniprésents, l’absence de style et l’utilisation trop grossière des émotions.
Nous avons également voulu connaitre l’avis du public. Pour ce faire, nous avons publié deux questionnaires, l’un destiné à des lecteurs ordinaires, l’autre aux « fans » de Grimaldi, qui nous ont permis d’observer de quelle manière le genre feel-good est perçu par le public, et de confirmer la posture auctoriale de Grimaldi.
En ce qui concerne les fans de Grimaldi, majoritairement des femmes dans la quarantaine, semblent confirmer notre hypothèse de la posture de « l’éthos discursif de [la femme] simple et sincère » qu’incarnerait Virginie Grimaldi. Cette dernière est décrite par ses fans comme une femme tournée vers les autres, une autrice orientée vers ses lecteurs, qui leur dédie volontiers du temps. Grimaldi leur parait faire preuve d’authenticité, non seulement dans la vraie vie, mais aussi dans ses romans. Altruiste, drôle, humble et abordable, Virginie Grimaldi, selon ses fans, est douce, empathique, et aussi positive que les messages et les émotions qu’elle transmet dans ses romans.
Conclusion
L’étiquette feel-good qui enrôle certains auteurs et autrices sous sa bannière reste instable. Il est difficile de juger de la durabilité du phénomène feel-good, concept souvent considéré comme trop englobant. Littérature feel-good, bienveillante, consolatrice ou « pop littérature », peu importe l’étiquette attribuée, le phénomène n’est cependant pas négligeable : l’engouement perdure déjà depuis le milieu des années 2010 et, à en croire les parutions récentes d’autrices comme Virginie Grimaldi, semble toujours d’actualité.
Victoria Demierbe, Prix BiLA 2023