Voyage au pays des collections d’aventures : les éditions Jules Tallandier

Grand concurrent des éditions Ferenczi (auxquelles nous avons consacré un article publié en février dernier), les éditions Jules Tallandier furent elles aussi un gros pourvoyeur de romans d’aventures dans la première moitié du vingtième siècle. Si elles se consacrent aujourd’hui uniquement au domaine historique, les éditions Tallandier ont constitué l’une des plus grandes maisons d’édition consacrées aux littératures populaires.

Naissance et développement

Apparue en 1901, et prenant la suite de la Librairie Illustrée dirigée par Georges Decaux depuis 1874, puis par Désiré Montgrédien, la Librairie Illustrée Jules Tallandier (qui prendra plus tard le nom d’éditions Jules Tallandier) s’oriente rapidement vers les publications populaires sous forme de périodiques et de collections. Deux axes essentiels sont exploités : le roman populaire (dramatique, sentimental, mystérieux, historique, etc.) et le roman d’aventures, auquel est associée la couleur bleue – d’où l’appellation générique de « Tallandier bleus » donnés à ces volumes par les collectionneurs.

En 1908 sont lancées deux collections à bon marché, rassemblées sous l’intitulé général « Le Livre National », dont la publicité met en avant le « prix inouï de bon marché, [la] présentation matérielle irréprochable, la notoriété des auteurs, la célébrité des œuvres publiées ». La Collection rouge (aussi appelée « Le Livre National (Romans populaires) ») publie « les œuvres célèbres des Grands Maîtres du Roman Populaire », tandis que la Collection bleue (dite aussi « Romans d’aventures et d’explorations ») est dédiée aux romans d’aventures. Y « prennent place les œuvres maîtresses des écrivains qui sont en même temps de hardis voyageurs et que l’on pourrait qualifier de “COUREURS DE GRANDS CHEMINS” et qui s’appellent : Louis Boussenard, Camille Debans, Dumont d’Urville, Jules Lermina, Mayne Reid, Louis Motta, Salgari, etc., etc. ».

Une quarantaine de volumes brochés de 250 à 350 pages (alors que la publicité annonçait jusqu’à 400 et même 500 pages !) paraissent dans cette collection, sans périodicité définie, sous couverture illustrée en couleurs dans un cadre bleu. La plupart des titres sont signés de Louis Boussenard, ce qui n’est guère étonnant puisque cette collection reprend en grande partie le catalogue de la « Bibliothèque des grandes aventures » lancée en 1890 par la Librairie Illustrée Montgrédien et Cie (le prédécesseur de Jules Tallandier) et dont Boussenard était l’auteur-phare !

Ce médecin et journaliste, qui a effectivement parcouru une partie du monde (et qui connaissait en particulier la Guyane, où se déroulent un certain nombre de ses romans), a débuté sa carrière littéraire en 1875 par des articles documentaires, puis a publié de la fiction à partir de 1878 en feuilleton dans le Journal des voyages. Il deviendra l’un des piliers des collections d’aventures de Tallandier, et cela même longtemps après sa mort survenue en 1910.

L’entre-deux-guerres

Après ce coup d’essai (sans doute mis à mal par la guerre, qui proposa des aventures d’un genre bien plus sanglant au public), Tallandier relance en 1923 le roman d’aventures sous la forme d’une collection qui connaîtra un franc succès pendant l’entre-deux-guerres et plusieurs avatars : la « Bibliothèque des grandes aventures », qui publiera 568 numéros jusqu’en 1936, où lui succède une nouvelle série de 25 titres, elle-même remplacée en 1937 par une autre nouvelle série sous couverture modernisée, en 3 couleurs, qui publiera 77 titres avant de s’arrêter en 1941. Les couvertures de cette collection sont illustrées par Henri Thiriet, Albert Puyplat, Pierre Dmitrow, et surtout par un illustrateur qui fit une longue et prolifique carrière aux éditions Tallandier : Maurice Toussaint.

Au début des années 1930, la collection a pris l’intitulé de « Grandes Aventures et Voyages excentriques », associant à Louis Boussenard un autre pilier du Journal des voyages, Paul d’Ivoi, présent au catalogue dès les débuts et qui connaîtra lui aussi une longue carrière posthume puisque sa série en 21 volumes des « Voyages excentriques », inspirés par les « Voyages extraordinaires » de Jules Verne, sera de nombreuses fois rééditée par Tallandier.

On trouve au catalogue de nombreux autres auteurs, parmi lesquels nous citerons Maurice Champagne, le commandant de Wailly, René Thévenin, Georges Le Faure, Paul Darcy, le Colonel Royet ; sans oublier quelques auteurs étrangers, et non des moindres : James Fenimore Cooper, Henry Rider Haggard, le capitaine Mayne Reid, Emilio Salgari (le célèbre créateur de Sandokan) et son successeur Luigi Motta, etc.

Les romans publiés développent toute la gamme de l’aventure : aventures exotiques, maritimes, aériennes, historiques, mystérieuses, coloniales, robinsonnades, sans oublier le western, la science-fiction et le roman scout !

 

Multiplication des formats

Tallandier n’en reste pas là, et dès 1927 décline le récit d’aventures sous divers formats :

Le volume de grand format (16×24 cm)

Il propose un texte sur deux colonnes et des illustrations intérieures (Tallandier s’est sans doute inspiré de la collection « Les Romans d’aventures » lancée par Ferenczi en 1925). Ce sera d’abord « Voyages lointains, Aventures étranges » (110 numéros parus jusqu’en 1932) où Jean de La Hire, déjà pourvoyeur prolifique des éditions Ferenczi, publie notamment le récit en six épisodes de la lutte de Paul Ardent, héritier d’un mystérieux secret scientifique, contre la société secrète des Lunaires, qui cherche à asservir l’humanité ! La collection est remplacée en 1932 par « A travers l’univers » qui publiera 45 titres jusqu’en 1933, répartis en 2 séries, l’une proposant de la fiction et intitulée « Aventures étranges, Voyages lointains » (en rappel de la collection précédente), l’autre dédiée aux récits d’exploration et intitulée « Aventures vécues de mer et d’outre-mer ». Une nouvelle série d’« Aventures vécues de mer et d’outre-mer » prendra la suite en 1933, le temps de 22 numéros.

 

Le fascicule de petit format (11×16 cm)

Un format peu utilisé chez Tallandier qui cherche ici visiblement à concurrencer (de nouveau) sur son terrain Ferenczi, et ses collections « Voyages et Aventures » et « Le Petit Roman d’aventures ». « Le Livre d’aventures », qui propose de courts récits de 64 pages, est lancé en février 1937, et comme de coutume chez Tallandier, connaît plusieurs séries (39 numéros pour la première série qui prend fin en décembre 1937 ; 48 numéros pour la deuxième série dite « Nouvelle série » ; et 68 numéros pour la seconde « Nouvelle série » de 1938 à 1942).

Le périodique

Si Jules Tallandier a longtemps mis à profit ses liens avec l’éditeur du Journal des Voyages, Léon Dewez (dont il a épousé la fille en 1899), pour publier dans ses collections d’aventures des romans parus en feuilleton dans le périodique, ce n’est que tardivement que les éditions Tallandier lancent un périodique dédié au genre. « Lisez-Moi Aventures » apparaît le 15 mai 1948, et publiera 68 numéros jusqu’en janvier 1952. De format 15,5×24 cm, ce périodique (d’abord bimensuel, puis mensuel) est orné d’une couverture illustrée en couleurs, et ses 48 pages sur 2 colonnes sont ornées d’illustrations intérieures. Le contenu se partage entre récits d’aventures vécues (notamment situés pendant la Deuxième Guerre mondiale) et d’exploration, romans en livraisons (généralement puisés dans le fonds Tallandier), mais aussi nouvelles policières (par exemple d’Agatha Christie, Maurice Leblanc, Conan Doyle, ou encore Georges Simenon).

Les collections dédiées à un auteur

En 1934-1935, c’est Paul d’Ivoi qui a droit à sa collection personnelle, avec les « Œuvres de Paul d’Ivoi », qui propose les 20 premiers titres des « Voyages excentriques » sous couverture jaune et bleue illustrée en 3 couleurs. Chaque volume comporte un roman en deux parties, précédemment paru dans la « Bibliothèque des grandes aventures ».

C’est ensuite au tour de Louis Boussenard, avec les « Œuvres de Louis Boussenard » (11 volumes de novembre 1936 à septembre 1937, eux aussi déjà parus dans la « Bibliothèque des grandes aventures »). Puis le catalogue de ces deux collections est réutilisé pour créer la collection des « Meilleurs Romans d’aventures », où figurent également Emilio Salgari, Luigi Motta, Gabriel Ferry, Albert Bonneau et son héros Catamount, « L’Homme aux yeux clairs », un hors-la-loi repenti qui devient redresseur de torts. Faut-il préciser que tous ces titres sont déjà parus dans la « Bibliothèque des grandes aventures » ? A noter que ces trois collections existent sous deux présentations : soit sous couverture papier, soit sous couverture cartonnée avec dos toilé.

Albert Bonneau est de nouveau mis en vedette après la guerre, avec trois collections qui lui sont consacrées : d’abord « Les Aventures de Catamount » (32 titres en 1947-1950, pour la plupart des rééditions de romans parus dans la « Bibliothèque des grandes aventures » ou dans « Voyages lointains, aventures étranges », parfois sous de nouveaux titres) ; puis « Aventures du Far-West » (43 volumes de 1951 à 1957, qui rééditent les westerns ne mettant pas en scène Catamount, complétés par quelques inédits ; le grand romancier américain Zane Grey parvient à s’y faire une petite place avec L’héritage du désert) ; et enfin les « Nouvelles Aventures de Catamount » (38 titres en 1952-59), dans lesquelles Catamount est devenu un Texas Ranger !

Les versions abrégées

Cette pratique débute en 1930 avec la collection « Les Chevaliers de l’aventure », une variante courte (en 128 pages) de la « Bibliothèque des Grandes Aventures ». Les 23 premiers titres de la collection constituent le récit Le tour du monde de deux gosses, un roman déjà publié par Tallandier en 1907 écrit par le Comte Henry de La Vaulx et Arnould Galopin (un auteur pour la jeunesse qui a surtout fait sa carrière chez Albin Michel). Une nouvelle série des « Chevaliers de l’aventure », qui ne comporte plus que 96 pages, fait paraître 52 titres en 1933-1934, essentiellement des rééditions fortement abrégées.

La formule est de nouveau employée, en 1951, pour une 4e série du « Livre d’aventures » qui, dans la plupart de ses 40 n° parus jusqu’en 1954, propose des rééditions abrégées en 128 pages de romans parus dans la « Bibliothèque des grandes aventures », parfois sous un nouveau titre.

La réédition

Nous avons déjà signalé plusieurs exemples de rééditions d’une collection à l’autre, avec les aventures de Catamount par exemple, ou encore avec « Voyages lointains, Aventures étranges » qui a réédité certains titres de la « Bibliothèque des Grandes Aventures », tandis que celle-ci a repris certains titres de « Voyages lointains, Aventures étranges » après la disparition de celle-ci ! C’est encore cette pratique qui préside à la renaissance de la collection « Grandes Aventures et Voyages excentriques » en 1949, qui publie jusqu’en 1953 une quarantaine de titres, dont seulement une poignée d’inédits comme L’émetteur inconnu de Léon Groc et Jacqueline Zorn.

Écouler les stocks d’invendus

Chez Tallandier, comme chez de nombreux autres éditeurs populaires, rien ne se perd, et pas question à l’époque d’envoyer au pilon des stocks de livres invendus ! Ainsi, « Les Meilleurs Romans d’aventures », évoquée ci-dessus, a été créée pour écouler les stocks d’invendus des romans en 2 volumes parus dans la « Bibliothèque des grandes aventures ». De même, certains volumes restants de la 4e série des « Grandes Aventures et Voyages excentriques » ont été recouverts d’une nouvelle couverture pour former la collection « Univers-Aventures » (1949-1953).

 Dernières tentatives et abandon du roman

À la fin des années 1950, les éditions Tallandier abandonnent le roman d’aventures (et le roman populaire en général) pour se réorienter vers le livre d’Histoire, un domaine abordé dès 1909 avec la création de la revue Historia (intitulée à l’origine Lisez-Moi Historia). L’une de ses dernières tentatives, parue vers 1952-1953 et de nouveau baptisée « A Travers l’univers » mais cette fois au format d’un livre de poche, se contente de proposer la réédition de classiques étrangers, dans des versions fortement adaptées et abrégées (Moby Dick de Melville, La guerre des mondes de Wells, etc.). Une fin de parcours peu glorieuse…

Conclusion

Pour Matthieu Letourneux (2007, p. 136), universitaire qui a étudié de près l’histoire de l’éditeur Tallandier, « la reprise inlassable des mêmes titres ou des mêmes recettes sous des formats et des présentations différents explique, autant que les problèmes rencontrés avec Hachette [qui a racheté les éditions Tallandier en 1931] et la crise économique [de 1929], l’essoufflement de l’éditeur ».

Les éditions Tallandier nous ont cependant laissé quelques milliers de romans d’aventures, aux couvertures souvent superbement illustrées, témoins d’un imaginaire et d’un état d’esprit marqués par leur époque. Ces récits, dont certains remontent au dernier quart du dix-neuvième siècle, exaltent en effet certaines valeurs comme le travail, le savoir, le patriotisme, et à l’occasion l’entreprise coloniale de la France. La dimension éducative y est très présente, avec de nombreux renseignements sur les sciences et les techniques, la géographie, l’histoire, la botanique, les mœurs et coutumes de populations exotiques. Et, mettant en scène des hommes d’action qui réussissent dans ce qu’ils entreprennent, ces romans d’aventures entendaient donner une leçon de courage et d’énergie à la jeunesse française !

Jérôme Serme

Bibliographie pour aller plus loin
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