Momie, pirates et G.I. – L’aventure fantastique selon Stephen Sommers

L’aventure et le cinéma sont compagnons depuis la naissance du septième art, et on ne compte pas les films, serials, films d’animations, qui en ont exploré les multiples ressorts jusqu’à l’explosion de cinéma d’action dans les années 80, qui s’y est progressivement substitué. Car si l’aventure a eu un nom dès 1981 avec Les aventuriers de l’arche perdue, le héros au feutre et au fouet de Spielberg et Lucas va rapidement éclipser toute concurrence sérieuse dans le cinéma hollywoodien, au point que l’aventure pure devienne l’un de ces parents pauvres durant les dix années qui vont suivre Indiana Jones et la Dernière Croisade en 89. Le genre va néanmoins bénéficier de l’amour indéfectible d’un cinéaste qui va le célébrer avec une ferveur presque naïve, voire anachronique, à une période où les cités exotiques, les environnements hostiles et les baroudeurs au grand cœur ne suscitent plus qu’une vague nostalgie. Stephen Sommers, puisque c’est de lui dont il s’agit, va en raviver la flamme en l’hybridant avec une autre de ses grandes passions, l’horreur, pour une poignée d’œuvres où l’excitation de la grande aventure va se conjuguer à la terreur pulp, l’amour des monstres, et un romantisme omniprésent.

Des débuts chez Disney

S’il explose sur la scène hollywoodienne à l’orée de l’an 2000, c’est sous la bannière de Disney que Stephen Sommers fait ses premières gammes. Remarqués pour leur bonne tenue mais sans provoquer un enthousiasme franc, ses adaptations des Aventures de Huckleberry Finn (1993) et du Livre de la Jungle (1994) le placent néanmoins dans la catégorie des réalisateurs compétents, et peu rebuté par les défis techniques. Son second film, en particulier, cumule les difficultés : décors complexes, nombreux animaux au casting à une époque où la présence plateau est préférée aux CGI, refus de donner la parole aux bêtes… Sa version des aventures de Mowgli s’affranchit ouvertement de son prédécesseur animé. On ressent également, à chaque plan, la profonde passion du réalisateur pour les figures qu’il déploie, y compris dans la sincérité de son histoire d’amour. Un romantisme fervent dont il ne se départira jamais vraiment, même dans ses œuvres les plus contestables. Car si Sommers n’a pas toujours une inspiration visuelle à la hauteur de son intérêt pour ce qu’il narre, il n’en reste pas moins un authentique défenseur du cinéma populaire et de la culture pulp, y compris dans ses mélanges les plus audacieux.

Pirates des abysses

Car s’il travaille dans le domaine du cinéma pour enfant jusque 1998, Sommers va opérer un revirement étonnant avec le trop méconnu Un cri dans l’océan (Deep Rising), où il va pour la première fois doper l’horreur aux codes de l’aventure. Monstres gigantesques et grand guignol y côtoient pirates modernes et voleuse de charme, dans une sorte de prototype de La momie plus énervé, méchant et gore. Avec sa galerie de personnages bigger than life taillés à même leurs archétypes menés par un Treat Williams jubilatoire, le film adresse également une foule de clins d’œil complices aux amateurs de récits de pirate, de créatures des abysses, de film catastrophe et d’îles mystérieuses. Même dans ses films les plus problématiques, Sommers installera toujours une forte connivence avec son audience, dont il fait un véritable compagnon de voyage qu’il veut satisfaire à tout pris, quitte à prendre le risque de le gaver. Menée tambour battant avec une générosité qui deviendra caractéristique du cinéaste, l’expérience Deep Rising est aussi dynamique que revigorante, et s’impose comme un pur bonheur de série B. Mal distribué et difficile à positionner sur le marché, le film ne connaît pas un succès à la hauteur de son potentiel ludique mais n’en redéfinit pas moins la vision de Sommers, dorénavant loin de Disney, tout en conservant le grand spectacle populaire comme priorité absolue. Moins d’un an plus tard, en 1999, c’est ce même enthousiasme qui permettra au réalisateur de convaincre Universal de lui remettre les clés d’Hamunaptra.

Égypte épique

Le pari était pourtant loin d’être gagné, en particulier en considérant l’origine purement horrifique du projet. La momie, comme Dracula, Frankenstein et la majorité du bestiaire fantastique cinématographique créé par la firme dans les années 30 sous l’appellation des Universal Monsters, fait partie de cette vague de remake/réadaptation des monstres classiques lancée en 1992 par le film de Coppola. Des auteurs comme Clive Barker avaient d’ailleurs étés convié sur le projet, dans des tentatives de développement très éloignées du film qui atteindra les salles. Cependant, remettons tous les éléments en contexte. L’année 1999 allait de fait opérer un tournant important pour le blockbuster hollywoodien, puisqu’elle annonçait la concrétisation de nombreux fantasmes d’amateurs d’imaginaire, et la propagation d’une certaine « culture geek » à grande échelle. A la tête du mouvement, le bulldozer Star Wars – La menace fantôme, attendu depuis 16 ans, et dont la sortie imminente va réalimenter le goût des grandes épopées, des univers foisonnants et des franchises lucratives. A la même époque, New Line parie sur Le Seigneur des Anneaux, Joël Silver soutient un Matrix synthétisant l’imagerie cyberpunk, la mythologie et le cinéma d’action virevoltant, mais aucun studio ne prends le risque de se confronter directement à la saga de George Lucas, dont le premier épisode de la prélogie sort sur le territoire américain le 19 mai 99. Universal va malgré tout placer le projet de Sommers sur l’échiquier des sorties estivales, sans y voir pour autant un véritable challenger.

Néanmoins, dès la sortie du film, et le bouche à oreille grandissant, le film de Stephen Sommers séduit rapidement le public en remettant au goût du jour, et à la surprise générale, un cinéma d’aventure aussi léger que vivifiant, exotique, fun, dans une vision presque désuète du cinéma populaire qui va pourtant faire mouche. Sommers agit comme véritable catalyseur d’influences reprenant les grandes lignes du récit de Karl Freund en les plaçant dans une perspective infiniment plus vaste. Si le métrage original se voulait fort inspiré du Dracula de Browning et jouait d’un certain minimalisme, le réalisateur va nourrir son film de l’ampleur et de l’imagerie exotique qu’inspire l’Égypte mythique. On se rappellera que chaque Indiana Jones possède son lot de scènes purement horrifiques venant donner d’autant plus d’éclat aux exploits du héros. La Momie quant à elle, opère le mouvement inverse, et démarre par un postulat de terreur puis l’attire dans un autre territoire. Du frisson au frisson de l’aventure, il n’y parfois qu’un pas (et inversement). Le premier plan du film ne trompe pas : en un seul travelling arrière, Sommers donne vie à des fantasmes d’enfant, dévoilant un imaginaire finalement peu exploité au cinéma, et d’une très grande richesse visuelle. Le désert est magnifié par la photographie d’Adrian Biddle, sous pleine perfusion des cadres majestueux du Lawrence d’Arabie de David Lean. Difficile avec de tels arguments de résister à la tentation de la démesure et de se contenter d’un huis-clos horrifique que le film aurait pu devenir. On pourra arguer qu’il n’y a rien de bien neuf sous le soleil égyptien, d’autant que le script pioche à pleine main dans celui, inexploité, du premier projet de remake du King Kong de Peter Jackson. Néanmoins, la ferveur de Sommers est contagieuse, réinjectant une fraîcheur bienvenue et inattendue dans un paysage cinématographique plutôt sombre dans les dernières années du XXe siècle. Seul compte ici le pur plaisir communicatif. Jamais avare en spectacle, le film s’offre également des maquillages numériques alors en plein essor : l’aspect organique d’Imhotep en souffre, mais plusieurs belles idées surnagent. Du reste, le prêtre maudit demeure un monstre profondément romantique, prêt à tout pour ressusciter son amour perdu, dans la plus grande tradition du genre. Si le ressort de la métempsychose était déjà présent chez Freund, Sommers va réinvestir totalement le thème, qui sera plus exploité encore lors de l’inévitable séquelle.

Une suite en point de départ

Le retour de la Momie met à peine deux ans pour ramener une seconde fois Imhotep du royaume d’Anubis. Cette fois, la donne est différente et Universal vise à exploiter jusqu’au moindre cents le trésor que vient de lui offrir Sommers. Plus qu’une suite traditionnelle, le film se veut être le point de départ de plusieurs franchises. La suite des aventures de Rick O’Connel bien sûr, mais aussi une autre série basée sur le personnage auquel le film offre son ouverture, le Roi Scorpion, annoncé d’emblée comme le héros d’un plusieurs films à venir destinés à capitaliser sur la popularité grandissante de son interprète Dwayne « The Rock » Johnson. Le film d’horreur des origines n’est plus, Le retour de la Momie se veut bigger and louder, et refuse de laisser au spectateur le temps de respirer. Frénétique, aussi riche en idées que maladroit dans leur dosage, ce second opus vire à la fantasy la plus débridée… Batailles dantesques, swashbuckling, un soupçon de steampunk… L’incrédulité du spectateur n’est pas juste suspendue, elle est littéralement sacrifiée sur l’autel d’une stimulation incessante, ponctuée autant de grands moments que de side-kick agaçants et d’ellipses narratives assez embarrassantes. Du cinéaste de l’aventure généreuse, Sommers devient l’auteur du trop plein, incapable de poser son récit, même si on sent un autre film, plus timoré, se dessiner sous le bruit et la fureur pulp. En de trop rares occasion, Sommers parvient à faire exister ses personnages au-delà de leur gesticulations : lors d’un flash-back modifiant le point de vue sur la scène d’ouverture du premier opus, dans un premier temps ; en jouant des alternances de noir et de flammes accompagnant un Rick ivre de vengeance prêt à en découdre avec son ennemi juré, ensuite ; et, surtout, dans le visage d’un Imhotep meurtri par la trahison d’Anck-Su-Namum, quelques secondes avant de se donner la mort. Des scènes souvent simples qui, paradoxalement, font regretter que Sommers ne tempère pas davantage ses ardeurs d’aventure au profit d’une émotion plus directe.

La gloire s’estompe rapidement ensuite. La franchise du Roi Scorpion s’enferme dans des direct-to-video fauchés suite à l’échec du premier épisode, et Rick O’Connel ne revient que dans un troisième opus en 2008, sans Sommers aux commandes, et rapidement oublié malgré un changement de décor prometteur (La momie : la tombe de l’empereur dragon voit la Chine remplacer l’Égypte). Le cinéaste, pour sa part, tente une nouvelle hybridation, plus agitée encore, soumettant les Universal Monsters à un traitement de choc avec Van Helsing (2004).

Monster fight  !

L’annonce d’un film sur Van Helsing, ennemi juré de Dracula, arrive peu de temps après le succès du film de Francis Ford Coppola. Il ne s’agit plus ici de simplement moderniser une figure classique du fantastique, mais bien d’opérer un mash-up virevoltant de la plus grosse partie du catalogue d’Universal… dont ironiquement la momie est absente. Car si Dracula répond bien entendu à l’appel, Van Helsing est également confronté à ses fiancées, aux loup-garous, à la créature de Frankenstein, et même à Mister Hyde ! Si la recette n’est pas neuve non plus (et relevait souvent du domaine de la parodie par le passé), l’aspect comic-book hyper-assumé promet, sur le papier, un spectacle haut en couleur. D’autant que Sommers puise, dans les littératures populaires et la japanimation, une large partie de « l’upgrade » du personnage de Bram Stoker, qui évoque ici autant Solomon Kane (le « bras vengeur de Dieu ») de Robert E. Howard que Dumpeal, le chasseur de vampires de Vampire Hunter D. S’il accorde quelques concessions à l’horreur gothique (en abandonnant en particulier le cinémascope pour lui préférer un format d’image moins large le rapprochant du 1.33 des productions d’époque, et en ouvrant le film en noir et blanc), la peur et la fascination du fantastique comptent moins ici que l’action non-stop et l’exploitation de décors hors normes. Nous sommes en 2004 : la culture comic-book débute son long triomphe sur tous les écrans et les films Blade c’étaient déjà positionnés comme références incontournables du mélange action et horreur. Bien qu’encore difficile à séduire avec des propositions trop extrêmes, le public avait pu découvrir un autre mélange de figures fantastiques, ambitieux mais raté, avec La ligue des gentlemen extraordinaires de Stephen Norrington un an plus tôt. S’il se fait rare dans l’horreur plus intime qui lui préfère le torture porn et ses dérivés (où l’effet choc et la douleur sont plus visés que l’évocation), le fantastique mythologique va souvent servir de stimulant à l’aventure épique et s’intégrer dans une esthétique plus ouvertement vidéo-ludique. On ne pourra jamais reprocher à Stephen Sommers de céder à la paresse : Van Helsing pousse si loin l’hystérie visuelle et narrative que le résultat s’avère plus épuisant qu’exaltant, noyant ses enjeux dramatiques sous un déluge de péripéties. Pourtant, là aussi, la sincérité dans les grands enjeux sentimentaux que le cinéaste infuse ici et là reste indéniable, mais sans plus atteindre le cœur des spectateurs, submergés d’adrénaline ou frappés d’une sévère migraine. On peut conserver une certaine sympathie pour l’énergie de la proposition, mais la formule Sommers atteint ses limites, et le feu du succès va s’éteindre rapidement ensuite.

Une suite de carrière dans l’ombre

Cinq ans plus tard, G.I. Joe : le réveil du Cobra (2009), vient témoigner de l’épuisement du réalisateur, dépassé dans son propre registre du toujours plus par un paysage cinématographique désormais coutumiers des excès stylistiques et de la démesure pop appliquée à la moindre franchise. Les années d’aventure ébouriffantes semblent loin derrière Sommers lorsqu’il revient une dernière fois à la réalisation pour une adaptation beaucoup plus humble de Dean Koontz avec Odd Thomas (2013). Centré davantage sur ses personnages, toujours hanté par la thématique du grand amour perdu qui baigne le cinéma de Sommers, le film est un échec public d’autant plus regrettable qu’il figure sans aucun doute dans le trio du tête des œuvres du réalisateur, et se révèle à plus d’un titre véritablement touchant. Si le cinéaste a pu réveiller la flamme de la grande aventure le temps de quelques film, à trop vouloir satisfaire la soif de sensations du spectateur au détriment d’une véritable implication narrative, il est peut-être le premier à s’être égaré. Reste l’envie de soutenir un cinéaste un peu trop vite ridiculisé pour ses fautes de goûts, qui a le mérite immense de n’avoir jamais cédé aux facilités du cynisme. Un atout précieux dans le domaine de la grande aventure, où une certaine forme d’innocence revendiquée et d’émerveillement n’est jamais superflue, voire indispensable.

Christophe Mavroudis

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