Voyage au pays des collections de romans d’aventures : les éditions J. Ferenczi

Tout au long de la première moitié du vingtième siècle, les deux grands éditeurs populaires, Jules Tallandier et Joseph Ferenczi, ont célébré le roman d’aventures à destination de la jeunesse et des lecteurs adultes ayant gardé une âme d’enfant. Avant de consacrer un prochain article au plus connu des deux, Tallandier, toujours en activité mais reconverti dans le domaine historique, commençons par les éditions Ferenczi. Si elles ont disparu au début des années 1960, elles ont laissé leur marque dans le domaine à travers de multiples collections.

Premières tentatives

Les livraisons

Joseph Ferenczi a débuté son activité d’éditeur en 1879, mais ce n’est qu’au début du vingtième siècle qu’il s’est intéressé au récit d’aventures, en expérimentant d’abord plusieurs modes de publication.

Pour commencer, il a eu recours à un mode de publication apparu au milieu du dix-neuvième siècle et très employé dans l’édition populaire. Ses premières publications dans le domaine de l’aventure sont des romans paraissant en livraisons, c’est-à-dire découpés en un certain nombre d’épisodes à suivre paraissant à intervalle régulier, le plus souvent sur une base hebdomadaire. C’est Le nouveau Robinson Crusoë qui inaugure ce format en 1905-1906, un roman de Michel Morphy découpé en une centaine de livraisons paraissant au rythme de deux par semaine (le mardi et le vendredi) au prix modique de 10 centimes. Suivent Rifle d’or (Ses prodigieuses aventures) (88 livraisons hebdomadaires en 1907-1909), qui raconte les aventures à travers le monde d’un jeune Breton dont l’adresse au tir lui a valu le surnom de Rifle d’Or ; Les Voyages aériens d’un petit Parisien à travers le monde (1911-1913), un roman en 111 livraisons hebdomadaires signé J.M. de Nizerolles, dans lequel Tintin, un petit Parisien, entreprend de faire le tour du monde à bord de la « Libellule » ; Le Corsaire sous-marin, un « grand roman d’aventures modernes inédit » par Jean de La Hire, en 79 livraisons hebdomadaires parues d’octobre 1912 à avril 1914, qui met en scène le terrible et mystérieux Corsaire Noir, un émule du capitaine Nemo ; Les Trois boy-scouts, un autre roman de Jean de La Hire dont la parution débutée en octobre 1913 sera interrompue par le début de la Première Guerre mondiale à l’été 1914.

Après une interruption liée à cette aventure insensée qu’a été la Première Guerre mondiale, Ferenczi continuera à utiliser ce mode de publication tout au long des années 1920 et jusque dans les années 1930, proposant à la fois des inédits et des rééditions : après la guerre paraissent d’autres romans scouts de Jean de La Hire, reprenant et prolongeant les premières aventures des trois boy-scouts de 1913-1914 (Les Trois boy-scouts, nouvelle série, en 1919-1921 ; L’As des boy-scouts en 1925-1926, qui raconte un match sportif entre boy-scouts français et anglais autour du vaste monde ; Les Grandes Aventures d’un boy-scout en 1926, dans lequel des boy-scouts quittent la terre à bord de radioplanes interplanétaires, afin d’atteindre un monde nouveau récemment découvert dans l’espace ; etc.) ; Le nouveau Buffalo, un roman signé colonel G. Wells (38 livraisons en 1924), qui proposait les « Aventures passionnantes du petit-fils du célèbre éclaireur aux prises avec les ruses infernales des Peaux-Rouges et triomphant de leurs pièges. » On retrouve aussi le petit Parisien de R.M. de Nizerolles dans de nouvelles aventures qui l’entraînent jusque dans la stratosphère, la lune et les planètes (Les Aventuriers du ciel, 108 livraisons en 1935-1937), puis jusque dans l’invisible ! (Les Robinsons de l’île volante (Aventures extraordinaires d’un petit Parisien sur terre, sur mer, dans l’air et dans l’invisible), un « Roman d’aventures, de voyages et d’anticipations scientifiques » en 28 livraisons paru en 1937-1938.)

Du côté des rééditions, sont de nouveau proposés L’As des boy-scouts (52 livraisons en 1932-1933) ; Les Voyages aériens d’un petit Parisien à travers le monde (100 livraisons en 1933-1935) ; Le Corsaire sous-marin (75 livraisons en 1936-1937). Une dernière tentative dans ce mode de publication aura lieu au début des années 1950, avec une réédition de Les Aventuriers du ciel, qui ne semble pas avoir eu un grand succès (seules 26 livraisons sont parues en 1950-1951, sur les 30 qui étaient prévues).

Les revues

Parallèlement à la publication de romans en livraisons, Ferenczi essaie avant la Première Guerre mondiale un deuxième support : la revue. Les Grandes Aventures sur terre, sur mer, dans les airs est lancée en janvier 1912 et publie 40 numéros jusqu’au mois d’octobre de cette même année. Paraissant le jeudi, elle vise la jeunesse à qui elle propose « tout ce qui peut [la] charmer et [la] captiver ». Ses 32 pages contiennent des nouvelles, des romans à suivre (Le roi des galériens par Guy Vander, Les trésors de Morumwaba par Ferdinand Laven, Les aventures d’un enfant de troupe par Jean de La Hire), des petits récits illustrés en 10 tableaux, mais aussi des articles (par exemple sur l’élevage des vers à soie au Cambodge, ou sur les armes des îles Rapa et Bass) et des rubriques d’information (« Curiosités et Informations »).

Une nouvelle tentative est faite au début des années 1920, avec À l’aventure, sous-titré « Journal de voyages, sur terre, sur mer, dans les airs ». Cette revue hebdomadaire de grand format a un contenu principalement documentaire : récits de voyages ou d’exploration, biographies d’explorateurs, articles sur les merveilles de la nature ou les coutumes des différents peuples, etc. Mais elle propose également de la fiction, nouvelles et romans (par exemple Le labyrinthe rouge de Jean de La Hire, La tempête universelle de l’An 2000 par le Colonel Royet) ; ou encore une série de textes de Louis-Frédéric Rouquette regroupés sous le titre général Récits d’Alaska (La terre du silence), qui se situent à mi-chemin entre le documentaire et la fiction. Il est fort probable qu’À l’aventure cherchait à imiter le célèbre Journal des voyages apparu en 1877, dont la parution s’était interrompue en 1915 et qui ne réapparaîtra qu’en 1924, laissant donc un vide que certains concurrents, dont Ferenczi, ont cherché à combler sans grand succès.

Les volumes brochés

Toujours au début des années 1920, Ferenczi expérimente une troisième voie, celle des collections de volumes brochés. Probablement en 1921, l’éditeur tente de lancer une collection dédiée à un auteur déjà très présent dans son catalogue, Jean de La Hire : « Les Romans de Jean de La Hire » ne publie cependant qu’un seul titre (Au-delà des ténèbres) alors que quatre autres sont annoncés. Il est possible que son prix de vente assez élevé pour une collection populaire (3 F 50) ait dissuadé les acheteurs, malgré l’aguichante couverture illustrée par Georges Vallée. La même année, la collection est remplacée par une autre, « Les Romans d’aventures », au format identique (11×17 cm) mais vendue moins cher (1 F 25), et qui débute par la publication des titres de Jean de La Hire annoncés pour la collection précédente. 21 numéros (mais seulement 17 romans, certains étant en 2 parties) paraissent ainsi jusqu’en 1923, mais tous ne sont pas inédits : ainsi le troisième de la collection, La fille de l’or de M. d’Asseroy, a déjà été publié dans la revue À l’aventure

En 1925, Ferenczi relance « Les Romans d’aventures » mais sous un autre format : cette deuxième série prend l’aspect de volumes agrafés de grand format (17×24 cm), sous couverture verte ornée d’une illustration en couleurs par Henri Armengol, avec un texte sur deux colonnes. Parmi ses 61 titres parus jusqu’en 1929, on trouve bien sûr l’inévitable Jean de La Hire entouré d’autres auteurs français comme René Thévenin ou le colonel Royet, mais aussi plusieurs auteurs étrangers, italiens (Luigi Motta, Guglielmo Stocco), anglais (Frederick Marryat), écossais (Walter Scott), américain (Fenimore Cooper), et même belge — et pas des moindres : Georges Simenon, qui signe ici Georges Sim et Christian Brulls ! Plusieurs textes relèvent de la science-fiction, comme La ville aérienne de Henry de Graffigny, L’amazone du mont Everest de Jean de La Hire, ou À deux doigts de la fin du monde du colonel Royet.

En 1929, Ferenczi abandonne cette formule (à tort, comme on le verra, mais on en ignore les raisons) pour refaire une tentative de collection de livres brochés (de format 12×19 cm), vendus au même prix que la précédente. L’éditeur présente « Le Livre de l’aventure » comme « une collection de Romans d’Aventures véritablement sensationnelle par ses qualités de toutes sortes. Paraissant sous une magnifique couverture en couleurs et signée de tous les maîtres du roman, […] elle sera la meilleure marché. En effet, elle ne coûtera que 1 fr. 75 et donnera un roman complet de 10.000 lignes ; prix absolument dérisoire encore jamais VU. ».

Les couvertures aguichantes (illustrées par Paul Thiriat puis Henri Armengol) invitent les lecteurs à découvrir les œuvres de romanciers pour la plupart déjà présents dans les précédentes collections Ferenczi : Jean de La Hire bien sûr, René Thévenin, Léon Sazie, Max-André Dazergues, René Poupon, Félix Léonnec, Georges Simenon (sous ses alias de Georges Sim et Christian Brulls), et Luigi Motta, a priori le seul auteur étranger de cette collection. 48 titres paraissent jusqu’en novembre 1931, où Ferenczi abandonne cette collection qui apparaît comme une tentative de concurrencer directement la « Bibliothèque des grandes aventures » de Jules Tallandier, lancée en 1923, mais qui en 1929 proposait ses volumes brochés de 224 pages pour la somme de 2 F donc légèrement plus cher que Ferenczi. L’argument financier avancé par Ferenczi n’aura cependant pas suffi à imposer cette collection sur le marché !

La « formule Ferenczi » : les collections de petits romans

En 1933, Ferenczi revient au roman d’aventures, sous un format qu’il utilise avec succès dans le registre sentimental depuis 1912 (année du lancement de la collection « Le Petit Livre »), et qui restera comme sa marque de fabrique : le petit roman (communément appelé fascicule), volume de petite taille (11×16 cm en moyenne), comprenant entre 16 et 128 pages assemblées par une agrafe, à prix de vente modique.

« Voyages et Aventures » se présente d’abord sous la forme de volumes de 128 pages sous couverture photographique ; mais assez vite la pagination baisse à 96 puis 64 pages, et la photographie est remplacée par une illustration de Henri Armengol qui se déploie sur les deux plats de couverture. Tous ces éléments semblent composer une formule idéale, puisque la collection publiera ainsi 379 numéros jusqu’en 1941, où l’arrêt de la collection est à imputer aux circonstances historiques défavorables. On trouve, au début du catalogue, quelques rééditions de romans parus dans la deuxième série de la collection « Les Romans d’aventures ». Le reste est constitué d’inédits, une grande partie étant écrite par un petit nombre d’auteurs prolifiques, utilisant parfois divers pseudonymes, et qui le plus souvent écrivent également pour les collections sentimentales et policières de Ferenczi ! Citons, parmi les plus prolifiques : Albert Bonneau (qui signe aussi Maurice de Moulins, Jacques Chambon et Jean Voussac), Max-André Dazergues (qui signe également André Mad), Louis-Roger Pelloussat (qui signe aussi Paul Tossel), Léo Gestelys, Jean Normand, Maurice Limat (qui signe également Maurice d’Escrignelles et Maurice Lionel), René Duchesne, etc. On retrouve ici encore Jean de La Hire et Georges Simenon (sous les signatures de Christian Brulls et Georges Sim).

Une autre collection de petit format est lancée en 1936 : « Le Petit Roman d’aventures », qui se différencie de son aînée par des textes plus courts (32 pages seulement), et un prix de vente inférieur (25 centimes à ses débuts). La couverture bleue est ornée d’une illustration par Georges Vallée. Cette collection permettra à ses lecteurs de faire le tour du monde au long de ses 233 titres paraissant jusqu’en 1941 sur un rythme hebdomadaire.

La mise en sommeil des deux collections d’aventures est de courte durée : dès 1942 (et d’abord sous l’enseigne des éditions du Livre Moderne) est lancée leur successeur, « Mon Roman d’aventures » qui publiera 462 numéros jusqu’en 1957. On y trouve la réédition de près de la moitié de la collection « Le Petit Roman d’aventures », et bon nombre d’inédits.

L’ensemble de ces textes courts propose au lecteur une bonne dose de dépaysement, d’exotisme, et de péripéties, comme en témoigne cette annonce pour Le Petit Roman d’aventures :

« Le grand Nord, les pampas, les forêts équatoriales, les grands déserts, l’Inde mystérieuse, etc. vous livreront leurs secrets si vous lisez… tous les mercredis le Petit roman d’aventures. Vous y trouverez des héros qui feront des prouesses vertigineuses sur terre, sur mer et dans les airs ».

La publicité ne mentait pas : ces récits se déroulent sur tous les continents, dans une multitude de pays (avec une certaine prédilection pour l’Inde, la Chine, l’Indochine, les Etats-Unis et le Canada), et aussi sur les mers infestées de pirates ! On y voyage occasionnellement dans le passé, et aussi dans l’espace avec des récits de science-fiction (Maurice Limat/Maurice Lionel a notamment signé de nombreux titres dans cette veine).

On y trouve les thématiques classiques du récit d’aventures : chasse au trésor, chercheurs d’or, bagnards évadés, cités perdues, expéditions polaires, chasse aux fauves, révolutions, gauchos dans la pampa, chasse à la baleine, traversée du désert, pirates chinois, ou encore l’affrontement avec des gangsters ou des bandes criminelles (ce type de romans aurait également pu trouver sa place dans une collection policière !). Dans leur ensemble, les récits glorifient les techniques modernes, et notamment les moyens de locomotion à moteur (automobiles, avions, bateaux). Les textes véhiculent aussi largement l’idéologie coloniale de leur époque : les héros sont des Européens (et surtout des Français) qui apportent les bienfaits des sciences et techniques modernes dans des pays vus comme arriérés. Ce sont souvent des colons, ou des militaires, ou des ingénieurs qui viennent exploiter les matières premières négligées par les autochtones, à l’aide de techniques modernes. Ces Européens ont souvent affaire à la superstition, à des tribus hostiles au changement, à des sorciers africains ou à des fakirs indiens qui veulent garder le contrôle de populations ignorantes, ou encore à des révoltes sanglantes (notamment menées par des sectes en Inde).

Un grand succès

La diversité des lieux, des personnages, des situations, sur un fond de trames récurrentes et d’idéologie largement acceptée, a permis aux éditions Ferenczi de proposer plus d’un millier de ces petits récits variés sur une période de 25 ans. Voilà un bel exploit, que les débuts difficiles dans ce genre romanesque ne laissaient pourtant pas entrevoir !

Pour tout savoir, ou presque, sur l’histoire des éditions Ferenczi et de leurs publications, nous vous invitons à consulter le n°82 de la revue Le Rocambole (Bulletin des amis du roman populaire), paru au printemps 2018, et qui nous a apporté de nombreux renseignements pour la rédaction de cet article.

Jérôme Serme

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