Voyage au pays des collections d’aventures : les éditions Arthème Fayard

Ce dernier volet du panorama des collections de romans d’aventures est consacré au troisième géant de l’édition populaire : Arthème Fayard. S’il s’est moins intéressé à l’aventure que ses deux grands concurrents, Ferenczi et Tallandier, il a tout de même laissé son empreinte sur le domaine. Nous vous invitons à partir en exploration dans ce territoire pittoresque et rempli d’imprévu !

Deux auteurs lancent l’aventure !

Pour ses débuts dans l’aventure, à la fin du XIXe siècle, Fayard s’est appuyé sur deux auteurs spécialisés dans ce genre.

Louis Noir

Louis Etienne Salmon a vécu une jeunesse aventureuse (engagé à 17 ans dans une unité d’infanterie de zouaves, il participe à la guerre de Crimée, à la campagne d’Algérie et à celle d’Italie de 1859) avant d’entamer une carrière de journaliste et romancier sous la signature de Louis Noir. De 1865 à sa mort en 1901, il écrivit de nombreux romans d’aventures géographiques (certains inspirés par son expérience militaire) et historiques, dont beaucoup ont paru en feuilletons dans la presse. Sa fiction est marquée par une idéologie patriotique et colonialiste, par une exaltation de l’héroïsme (souvent à la limite du vraisemblable), et une certaine fascination pour la violence.

Louis Noir est très présent chez Fayard à partir du début des années 1890. Sous la signature du lieutenant-colonel Salmon, il publie une vingtaine de récits consacrés aux « Grands Explorateurs à travers le monde » (dans la « Bibliothèque universelle de poche, série Y », 1894), qui visent notamment à dénoncer les agissements anglais en Afrique, coupables aux yeux de l’auteur de contrarier les intérêts coloniaux français dans cette région du monde ! Dans la même collection, mais dans la série L, il publie à côté d’autres auteurs et sous la signature de Louis Noir des « Romans d’aventures et de voyages » découpés en 2 ou 3 volumes de 160 pages (Le coupeur de têtes, Le corsaire aux cheveux d’or, etc.). Puis Fayard frères lui consacre la « Collection Louis Noir » à 15 centimes, à parution hebdomadaire, dont les couvertures sont illustrées par Gino Starace, un illustrateur dont le talent sera bientôt mis en valeur dans la collection « Le Livre populaire », qui sera évoquée un peu plus bas. Une autre collection lui sera dédiée (« Œuvres de Louis Noir », 22 numéros parus de septembre 1911 à juin 1913), cette fois sous la forme d’épais volumes brochés à 65 centimes dont les couvertures sont illustrées par Jan Starace (le fils de Gino). Ces textes sont déjà tous des rééditions, et hormis des retirages effectués dans l’entre-deux-guerres, ce sera la dernière fois que Fayard s’intéressera à cet auteur, bien oublié aujourd’hui.

Gustave Aimard

Cet aventurier, qui aurait (entre autres péripéties !) passé 4 ans dans une tribu comanche au Mexique, a participé à la lutte contre la domination russe du Caucase, et à la révolution de 1848 en France. Il est l’auteur (à partir de 1856) de 66 romans d’aventures se déroulant en majorité en Amérique (Mexique, États-Unis, Canada) ou dans le milieu des pirates et des flibustiers. Fayard lui a consacré (de manière posthume) trois collections échelonnées de 1900 à 1939 :

La « Collection Gustave Aimard » (aussi appelée « Œuvres de Gustave Aimard ») publiée par Fayard frères à partir de mars 1900, comporte 27 romans paraissant chacun en plusieurs volumes de 96 pages, sur une base hebdomadaire. Elle est suivie d’une collection plus conséquente, « Aventures, Explorations, Voyages » en 52 épais volumes brochés, paraissant chaque mois d’octobre 1906 à janvier 1911. Les couvertures sont illustrées par Georges Conrad. Des réimpressions parues jusqu’au début des années 1930 attestent de la popularité de l’écrivain-aventurier. Enfin, une nouvelle collection d’« Œuvres de Gustave Aimard » paraît en 1938-1939. Il s’agit cette fois de volumes agrafés de grand format (18×27 cm), dont les couvertures sont illustrées en couleurs (certaines par Maurice Toussaint, l’illustrateur-vedette de l’éditeur Jules Tallandier), le texte est sur 2 colonnes et en 96 pages.

Quelques autres noms

Trois autres auteurs, qui ont déjà été évoqués dans nos panoramas des éditions Tallandier et Ferenczi, apportent également leur contribution au domaine de l’aventure chez Fayard.

Paul d’Ivoi signe la série Les Grands Explorateurs, en 6 volumes parus de juin à octobre 1899, qui retracent les grandes heures des missions d’exploration françaises en Afrique (missions Marchand, Gallieni, et celle du colonel Monteil).

Le comte Henry de la Vaulx, fort de son expérience d’aéronaute, raconte Cent mille lieues dans les airs (Aventures extraordinaires d’un dirigeable autour du monde), en collaboration avec Arnould Galopin (dont la participation n’est cependant pas créditée). Ce long périple de près de 1600 pages paraît en 198 livraisons à partir de septembre 1904, avec des illustrations de Henri-Patrice Dillon.

Enfin, Jean de La Hire publie Le roi des scouts en 1930-1932, un « passionnant roman d’aventures pour la jeunesse » dans lequel 4 équipes de scouts (française, belge, anglaise et italienne) rivalisent lors d’un match autour du monde. L’affrontement pacifique se conclut au bout de 4096 pages en 64 livraisons hebdomadaires ornées d’une illustration en couleurs par Paul Allier !

L’ère des grandes aventures (1905-1914)

La célèbre collection « Le Livre populaire », lancée en 1905 et révolutionnaire par son prix de vente (seulement 65 centimes pour de gros volumes de 400 à 500 pages), n’a pas tellement été attirée par le roman d’aventures, à l’exception de sa veine historique : le roman de cape et d’épée. Jusqu’en 1914, on trouve au catalogue quelques romans de Paul Féval (Le Bossu ou Le Petit Parisien) et de son fils (Mam’zelle Flamberge), et surtout de l’écrivain libertaire Michel Zévaco, dont le célèbre cycle des Pardaillan qui se déroule sur fond de guerres de religion et couvre plus d’un demi-siècle (1553-1614), du règne d’Henri III à la régence de Marie de Médicis. Dans l’entre-deux guerres, on retrouve Jean de La Hire au catalogue, qui y publie notamment des aventures de son héros Léo Saint-Clair, dit le Nyctalope (Belzébuth, La captive du démon). Les couvertures, illustrées pour la plupart par Gino Starace, mettent en relief le caractère spectaculaire de ces romans.

L’aventure se déploie surtout dans les séries satellites du « Livre populaire », qui sont de petites collections à la présentation similaire mais consacrées à un auteur, un personnage, ou à une série de romans formant un cycle. En font partie les « Œuvres de Gustave Aimard » (1906-1911) et les « Œuvres de Louis Noir » (1911-1913) déjà évoquées, auxquelles s’ajoutent d’autres séries :

Tout d’abord le célèbre Fantômas, « Grand roman inédit » par Pierre Souvestre et Marcel Allain, en 32 épisodes parus sur un rythme mensuel de février 1911 à septembre 1913. Ce roman d’aventures policières s’articule autour de la lutte entre le génie du crime Fantômas et le policier Juve (aidé du journaliste Fandor), qui prend fin lors du naufrage du paquebot « Gigantic » (qui n’est pas sans évoquer un certain navire réputé insubmersible).

Le Vautour de la sierra, une série en 5 volumes parus de novembre 1913 à mars 1914, raconte les aventures d’un brigand espagnol au grand cœur, Don Quebranta surnommé « Le Vautour de la Sierra ». Elle est signée Georges Clavigny, bien que celui-ci ait en réalité adapté l’œuvre d’un romancier anglais, Hesketh-Prichard, créateur du personnage en 1906.

Le Maître des Peaux-Rouges de Lucien Dellys est un roman en 5 épisodes parus d’avril à août 1914, qui se déroule au Mexique, et dont les couvertures sont illustrées par Jan Starace.

L’aventure historique est également représentée, par Le Capitaine La Garde de Jarzac de Georges Spitzmuller (7 ou 8 volumes parus à partir de janvier 1914, dont la publication a été interrompue par la guerre). Le second volume de ce « roman inédit de cape et d’épée » raconte Les Amours de François Ier et de la Joconde !

Carot Coupe-Tête (25 volumes parus d’octobre 1911 à octobre 1913) de Maurice Landay, se déroule quant à lui à l’époque napoléonienne.

Signalons également, à la même époque (1913) mais sous une présentation différente de celle du « Livre populaire », un roman de cape et d’épée de Georges Omry en 5 volumes : Aventures et exploits du Comte de Chavagnac, le célèbre cadet de Gascogne. Cet « Album-roman » très illustré (par l’auteur lui-même) semble plus particulièrement viser un public jeune.

Parmi les séries satellites du « Livre populaire », on trouve également des cycles centrés sur des figures de grands criminels (ce sont des biographies romancées) : Vidocq, le roi des voleurs, le roi des policiers (5 volumes de septembre 1909 à janvier 1910) par Marc Mario et Louis Launay, raconte les aventures de cet homme qui a été des deux côtés de la loi ; Cartouche, par Jules de Grandpré (7 volumes de février à août 1910), s’intéresse au fameux chef de bande, tandis que Mandrin, du même auteur (5 volumes de septembre 1910 à janvier 1911), raconte les aventures et exploits du célèbre contrebandier.

 

L’Aventure (avec un grand A) dans l’entre-deux guerres

Une première tentative de publier un périodique consacré à l’aventure et aux voyages avait été faite par Fayard en 1902, avec l’hebdomadaire A travers le monde sous-titré « Voyages, explorations, aventures, mœurs et coutumes », qui mêlait l’aspect documentaire et la fiction. On pouvait notamment y lire des romans paraissant en feuilletons, comme La grotte du diable et L’empereur du Sahara de Louis Noir, mais aussi des titres de G. de Wailly, Gaston Rayssac ou Georges le Faure. Mais A travers le monde a disparu dès janvier 1906, laissant la place à Mon beau livre, un « Magazine mensuel illustré de la jeunesse » dont la ligne éditoriale était différente.

A la fin des années 1920, Fayard tente de nouveau de se faire une place dans le créneau des périodiques consacrés aux voyages et à l’aventure (dont le Journal des voyages est le plus connu). En juin 1927 est lancé L’Aventure à parution hebdomadaire, qui associe l’aspect didactique (avec des reportages, illustrés par la photographie, sur les différentes parties du monde, les mœurs et coutumes des autochtones, la faune et la flore exotiques, les moyens de transports les plus modernes, etc.) et la fiction (nouvelles et romans en feuilletons), illustrée quant à elle par le dessin. Ce journal de grand format (28,5×38 cm) publie 92 numéros, de juin 1927 à mars 1929, avant d’être remplacé par Ric et Rac, là encore de ligne éditoriale différente. Les romanciers qui publient dans L’Aventure sont des contemporains qu’on retrouve souvent chez d’autres éditeurs concurrents (Tallandier et Ferenczi notamment) : Georges Simenon (sous les signatures de Georges Sim et Christian Brulls), Paul Dancray, Jean d’Agraives, Maurice Champagne, Edmond Romazières, etc. Plusieurs des romans parus dans ce périodique connaîtront ensuite une publication en volume, chez divers éditeurs.

Alors que la revue disparaît, Fayard lance sous le même titre (L’Aventure) une collection de romans, sous forme de volumes agrafés de grand format (19×28 cm) avec des couvertures ornées de superbes illustrations par Gino Starace. On retrouve au catalogue (qui comporte 20 titres) plusieurs auteurs déjà présents dans le périodique : Georges Sim et Christian Brulls (Georges Simenon), Paul Darcy, Maurice Champagne, Eugène Thebault (avec Radio-Terreur qui est déjà paru en feuilleton dans le périodique), Jean d’Agraives, Corentin Goulphar, Edmond Romazières. On y recroise aussi Georges Clavigny, avec une nouvelle adaptation d’un roman étranger, Vaiti, la panthère du Pacifique (de l’Irlandaise Beatrice Grimshaw).

L’aventure prend fin

À partir de la fin des années 1930, et après la Deuxième Guerre mondiale, Fayard lance plusieurs collections dans lesquelles apparaît le terme aventure : « Les Aventures du Saint » écrites par Leslie Charteris (1938-1966) ; « Les Nouvelles Aventures de Raffles » par Barry Perowne (1941-1946) ; « L’Aventure de notre temps », une collection dédiée à Pierre Nord (1949-1969) ; « L’Aventure criminelle », une collection dirigée par Pierre Nord (1957-1965). Mais on l’a compris, il ne s’agit plus de romans d’aventures exotiques, liés à la période des grandes explorations et de la colonisation. Fayard a tourné la page et s’est orienté vers les aventures modernes. Chez cet éditeur, les policiers, détectives privés, escrocs, agents secrets et espions remplacent désormais les coureurs de pistes, chercheurs d’or, trappeurs et explorateurs de naguère.

Jérôme Serme

Bibliographie pour aller plus loin
Article précédent
Rencontre – Thomas Lavachery – au cœur de l’aventure
Article suivant
Dynamiter l’action ! John McTiernan, le sens de l’aventure

Articles liés