Le roman d’aventures : invitation au voyage

Avec ses dizaines de milliers de titres et les centaines de collections qui lui sont consacrées, le récit d’aventures est un des genres littéraires les plus importants de la littérature populaire et de la littérature jeunesse. Son triomphe s’étale sur près d’un siècle et il constitue une part importante de ce qui s’édite dans les fascicules et autres publications destinés au grand public et à la jeunesse des années 1860 aux années 1940. Bien que son influence va ensuite en déclinant, il reste, après la Seconde Guerre mondiale, un genre important, illustré par exemple par le succès phénoménal de la série Bob Morane du belge Henri Vernes de la fin des années 1950 aux années 1980.

Origine

Il est évidemment tentant de faire remonter les origines de l’aventure aux romans médiévaux (bien longtemps, l’expression roman d’aventure – au singulier – ne s’utilisait d’ailleurs que pour désigner certains récits issus du Moyen Âge) voire à la littérature grecque antique (l’odyssée d’Ulysse n’est-elle pas un grand récit d’aventure ?). Néanmoins, le genre ne s’institue vraiment qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, période durant laquelle la notion se précise, les éditeurs créent des collections spécialisées et un lectorat spécifique se développe. C’est aussi l’époque où de grands auteurs du genre publient leurs œuvres les plus marquantes : Jules Verne, Robert Louis Stevenson, Rider Haggard, pour ne citer qu’eux.

Un récit d’action

Le roman d’aventures naît d’abord d’un principe formel : il met en scène des aventures. C’est-à-dire l’irruption d’un événement inattendu qui met en danger un personnage et le pousse à l’action. Cette série d’actions, qui constituent autant d’aventures ou de mésaventures et autant d’épisodes narrés, a pour but de résoudre, d’une manière ou d’une autre, la situation exceptionnelle dans laquelle le héros se trouve.

L’importance du dépaysement

Cet attrait pour l’action se mêle rapidement et naturellement à celui de l’ailleurs et les récits d’aventures sont, dans un premier temps, bien souvent des récits de voyage et de dépaysement géographique. Propres à leur temps, ils véhiculent souvent une vision colonialiste et impérialiste du monde. Le héros fait de la Terre son terrain de jeu et impose sa vision, occidentale, partout où il passe. Cet aspect, moins reluisant aux yeux du lecteur contemporain, explique également le déclin du récit d’aventures durant la seconde moitié du XXe siècle. Les mouvements de décolonisation se multiplient et mettent au jour les exactions des pays colonisateurs.

Un goût pour la modernité

Les genres populaires, parce qu’ils naissent et se développent dans le contexte de la révolution industrielle, développent très souvent un attrait pour la modernité. Parfaite illustration de la volonté éducative du XIXe siècle, le récit d’aventures va très tôt développer un goût pour les progrès scientifiques et les innovations techniques. Cette volonté encyclopédique s’illustre parfaitement dans les œuvres de Jules Verne. L’intérêt de l’auteur pour les techniques va des innovations de son époque (Le Tour du monde en 80 jours et la révolution des transports du XIXe siècle) jusqu’à de véritables prospections scientifiques (De la Terre à la Lune et sa fusée relevant alors de l’anticipation pure).

 

Mais qu’est-ce qu’un récit d’aventures, finalement ?

Le récit d’aventures est un récit centré sur l’action, parfois violente, qui confronte un héros, historiquement majoritairement jeune et masculin, à de nombreuses péripéties et rebondissements dans un cadre favorisant le dépaysement du lecteur.

De cette définition, les amateurs identifieront de multiples sous-genres, souvent isolés par le cadre dans lequel les aventures s’inscrivent. Car au-delà de l’action, des événements extraordinaires qui ponctuent et définissent le genre, le roman d’aventures se caractérise aussi par le dépaysement qu’il provoque chez le lecteur. Ce dépaysement peut-être de plusieurs ordres : géographique (jungle inexplorée, îles isolées…), historique (cape et épée, guerre…), social (bas-fonds des villes, milieux criminels) et même fantastique (créatures imaginaires, voyages interstellaires). Tous ces décors visent à incarner l’extraordinaire des romans d’aventures puisque cette bascule justifie les multiples rebondissements et transporte le lecteur loin de son quotidien et de son cadre de vie habituel. Mais, comme le montre le chercheur Matthieu Letourneux dans son essai Le roman d’aventures, loin de n’être que des décors vides de sens, les cadres choisis pour l’action, nous le verrons plus bas, induisent également une série de caractéristiques narratives et thématiques : ainsi un roman d’aventures se déroulant dans une jungle inexplorée n’imposera pas le même type d’épisodes ni les mêmes rebondissements qu’un roman de cape et d’épée ou de voyage interstellaire. En cela, le décor joue un rôle décisif dans la trame du récit ; ce qui explique d’ailleurs les distinctions en sous-genres présentées ci-dessous.

Petit voyage

Le dépaysement géographique

C’est certainement la catégorie la plus représentée dans l’histoire du roman d’aventures. Dans la plupart des cas, ces romans prennent pour point de départ un voyage qu’effectue le héros, et le lecteur avec lui, vers une destination qui lui est inconnue. On y retrouve des types de romans au succès énorme comme le roman d’aventures maritimes ou encore la robinsonnade (qui, sur le modèle du Robinson Crusoé de Daniel Defoe, imagine un ou des héros isolé(s) sur une île inconnue obligé(s) de trouver les moyens de son/leur propre survive). Mais le dépaysement ne signifie pas nécessairement l’éloignement, comme en témoigne, par exemple, la riche tradition des romans scouts où l’aventure, mettant en scène des scouts dans des activités propres au scoutisme, peut naître dans des décors nettement moins exotiques et plus locaux : le débordement d’une rivière ardennaise ou les fortes neiges en Savoie suffisent à nourrir ces romans.

Le dépaysement historique

Deuxième grand courant du récit d’aventures, l’aventure historique se décline également en de multiples formes. Les romanciers d’aventure ne font évidemment pas de l’Histoire et ils s’intéressent avant tout au dépaysement que celle-ci peut provoquer chez le lecteur. Les différentes périodes historiques investies par le roman d’aventures le sont ainsi avant tout parce qu’ils représentent des espaces éloignés du lecteur propres à accueillir l’aventure et à provoquer chez lui le sentiment d’évasion. Ainsi toute époque peut convenir et, au fil des romans et des auteurs, toutes ont été investies : la préhistoire, notamment avec les romans du belge Rosny aîné, l’Antiquité, le Moyen Âge, la Renaissance ou les siècles suivants jusqu’aux périodes plus contemporaines (notamment à travers le roman de guerre).

Mais bien souvent, le roman d’aventures historiques est également un roman d’aventures géographiques. C’est le cas des romans de piraterie qui convoquent à la fois l’âge d’or de la piraterie, les XVIIe et XVIIIe siècles, et le cadre géographique des paysages de la mer des caraïbes. C’est aussi le cas d’un autre sous-genre de l’aventure  : le western. Extrêmement populaire, au point de s’identifier comme un genre en soi et de générer ses propres règles (le duel au pistolet, l’attaque du train…), le western convoque à la fois l’exotisme de l’Ouest américain et l’imaginaire de sa conquête durant la première moitié du XIXe siècle.

Le dépaysement social

Peut-être moins évident mais pourtant bien présent, le dépaysement social est un ressort important du roman d’aventures. Ce dépaysement vient alors de la découverte de milieux sociaux marginaux et méconnus du lecteur : le milieu du crime, de la prostitution, les milieux aristocratiques, les sphères les plus huppées comme les plus démunies… Souvent mis en scène dans des décors urbains, ces récits sont tout droit issus de la tradition du roman populaire tel que l’a rendu célèbre Eugène Sue et ses Mystères de Paris. La ville, cet environnement foisonnant où se côtoie l’humanité dans toute sa diversité, et son caractère aussi tentaculaire que mystérieux peut, sans grande difficulté, prendre tous les atours attendus pour constituer un cadre idéal à l’aventure.

Et ici encore, le mélange des dépaysements se retrouve dans bon nombre de romans. C’est notamment le cas de ceux exploitant le stéréotype littéraire et xénophobe du « péril jaune » (à savoir le fantasme d’une menace asiatique mettant en danger la domination occidentale sur le monde). Ils mettent alors en scène des sociétés secrètes, souvent chinoises et donc exotiques, dans des récits aux accents d’espionnage : en témoigne la célèbre figure de Fu Manchu de Sax Rohmer ou la figure, bien plus récente, de l’Ombre Jaune dans la série Bob Morane.

Si le topos de la ville se développe dans l’aventure à travers le dépaysement social, c’est dans un autre genre qu’il trouvera sa forme la plus populaire : le roman policier. Ce n’est pas un hasard si celui-ci, dans ses premières formes, se confond avec le roman d’aventures (la célèbre collection policière Le Masque, créée en 1925, présente d’ailleurs ses premiers volumes comme des romans d’aventures).

Le dépaysement fantastique

Tous ces dépaysements se caractérisent jusqu’ici par leur réalisme : aussi éloigné et improbable qu’il soit, l’espace mis en scène relève tout de même du possible. Avec le dépaysement fantastique, un glissement radical s’opère en convoquant le surnaturel. Il n’est dès lors par étonnant que le roman d’aventures puise très vite et abondamment dans l’imaginaire fantastique au sens large. Le motif du monde perdu, et sa découverte d’une faune exotique et de peuplades souvent présentées comme primitives, en est un bon exemple : Le Voyage au centre de la Terre de Jules Verne en témoigne. Mais c’est surtout à travers son bestiaire que ce dépaysement s’illustre le plus : vampires, démons et extraterrestres en tous genres peuplent les récits d’aventures et initient parfois des motifs qui prendront leur pleine vigueur dans des genres plus tardifs comme la science-fiction (De la Terre à la Lune de Jules Verne et son voyage interplanétaire) ou même la fantasy (l’heroic fantasy à la Robert E. Howard, rendu célèbre par sa série Conan, doit énormément aux romans d’aventures). C’est ici que l’attrait pour les sciences, la technique et la modernité s’illustre le plus : sous-marins, véhicules volants de toutes sortes, fusées, machines à voyager dans le temps… Autant d’inventions extraordinaires qui peuplent les romans d’aventures et que l’on identifiera dans un second temps comme appartenant aux motifs de la science-fiction.

Conclusion

Si l’âge d’or du roman d’aventures semble maintenant derrière lui, comme en témoigne l’absence en librairie de grandes collections dédiées au genre, son esprit est plus que jamais vivant et son héritage important, notamment dans d’autres médias comme le cinéma, la bande dessinée, les séries télévisées et, plus récent encore, les jeux vidéo. Car le roman d’aventures a surtout popularisé une structure dramatique efficace, populaire et déclinable permettant d’infinies variations ; qu’elle se développe dans les innombrables propositions du cinéma d’action, dans la production sérielle des mangas (à bien des égards comparable à ce que pouvait d’ailleurs être la littérature populaire au XIXe siècle) ou comme puissant moteur de jouabilité dans les productions vidéoludiques. À l’heure où le roman d’aventures semble incarner la désuétude d’une époque révolue, son héritage n’a jamais autant infusé la pop culture contemporaine.

La BiLA

Pour aller plus loin :

Collectif, Le Rocambole n°17, aspects du roman d’aventures (I), Hiver 2001;

Collectif, Le Rocambole n°18, aspects du roman d’aventures (II), Printemps 2002;

Guillaume (Isabelle), Le roman d’aventures depuis L’Île au trésor, L’Harmattan, 1999;

Letourneux (Matthieu), Le roman d’aventures, Presses Universitaires de Limoges, 2010;

Tadié (Jean-Yves), Le roman d’aventures, Presses Universitaires de France, 1982.

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