Des Schtroumpfs à Lanfeust : la bande-dessinée médiévale-fantastique

Bande-dessinée d’heroic-fantasy, médiévale-fantastique ou encore de fantasy médiévale… Autant d’étiquettes utilisées pour tenter de circonscrire l’ensemble protéiforme des productions mêlant univers médiéval et imaginaire merveilleux. Le succès de ce type de production semble inversement proportionnel à celui de la bande-dessinée historique. Suivant une dynamique générale dans le monde de la fiction, l’imaginaire a progressivement contaminé le monde de la bande-dessinée réaliste. De ses débuts timides dans Johan et Pirlouit et dans les premiers albums de Thorgal, alors relativement réalistes, jusqu’à la pléthorique production actuelle, l’univers médiéval-fantastique s’est progressivement imposé dans les rayons des librairies.

Une longue tradition

Ce mélange des genres n’a en soit rien de surprenant. L’imaginaire médiéval et le merveilleux font depuis toujours bon ménage. Pour s’en convaincre, il suffit de remonter au XIIe siècle et de lire les premières productions romanesques en langue française. Les auteurs médiévaux, dont Chrétien de Troyes est certainement la figure la plus connue, mêlaient déjà, dans les récits des chevaliers arthuriens, aventures réalistes et épisodes surnaturels. De même, en inscrivant leurs histoires entre la fin du Ve siècle et le début du VIe siècle mais en y décrivant une société qui leur était contemporaine, ces écrivains ne s’embarrassaient aucunement de cohérence chronologique.

La fantasy, si elle ne peut pas être réduite à son pan médiéval-fantastique, est assurément dominée par ce type d’univers mêlant des éléments technologiques et architecturaux typiques du Moyen Âge historique avec des éléments magiques et des créatures fantastiques. L’influence des écrits de Tolkien (Le Hobbit, Le Seigneur des Anneaux), en littérature comme en bande dessinée, est indéniable. L’auteur anglais a en effet créé ou popularisé une série de situations (la communauté de héros, la quête d’objets sacrés…) et de personnages (le nain, l’elfe, l’orc…) qui se sont imposés comme des archétypes du genre médiéval-fantastique.

 

 

Tout commence par des Schtroumpfs

Les débuts de la bande-dessinée médiévalisante sont marqués par l’influence de Prince Vaillant (débuté en 1934). Bien que idéalisé et largement aseptisé, le Moyen Âge représenté se veut relativement réaliste. L’influence de la série fleuve de Harold Foster se fait sentir jusque dans les années 1970. Y apparaissent des bande-dessinées, comme Ramiro de William Vance et Jacques Stoquart ou Jhen de Jacques Martin, volontairement inscrites dans un réalisme historique plus rigoureux.

Le médiéval-fantastique quant à lui s’imposera dans un troisième temps et se définira comme genre à part entière à partir des années 1980.
C’est cependant plus de 20 ans avant que Peyo introduit le merveilleux dans le monde encore sage de la bande-dessinée médiévalisante. En 1958, il publie la seizième aventure de la série Johan et Pirlouit. Y apparaissent des personnages amenés à rencontrer une succès phénoménal : les schtroumpfs. En immisçant dans l’univers médiéval de Johan et Pirlouit, des personnages fantaisistes et merveilleux inédits, Peyo fait basculer sa série dans la fantasy pure. Il anticipe ainsi le succès phénoménal que connaîtra la bande-dessinée médiévale-fantastique quelques décennies plus tard.

Deux séries fondatrices : Thorgal et Aria

Première véritable série majeure du genre, Thorgal apparait pour la première fois en 1977. Signée par Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski, la bande-dessinée est dans un premier temps considérée comme une série d’aventure médiévale classique. En 1979, Rosinski remporte d’ailleurs le Prix Saint-Michel du meilleur dessinateur réaliste pour le deuxième tome de la série. Preuve que la distinction entre historique et fantasy n’était alors pas du tout achevée. Le monde dans lequel évolue Thorgal ne laisse pourtant aujourd’hui aucun doute. S’il se place aux alentours de l’an mille, l’univers s’inspire à la fois d’un Moyen Âge historique et de la mythologie nordique. Différentes dimensions magiques peuplées de personnages merveilleux (lutins, dragons et autres magiciens) achèvent d’inscrire la série dans le genre de la fantasy.

Pendant féminin de Thorgal, Aria est le personnage principal de la série éponyme. Débutée en 1982 par Michel Weyland, elle compte aujourd’hui 37 tomes. Aria est une héroïne solitaire qui parcours un monde médiéval-fantastique situé dans un futur indéterminé.

Ces deux séries, toujours en cours aujourd’hui, ont participé à l’élaboration d’un cadre de référence pour leurs successeurs.

 

 

 

La Quête de l’oiseau du temps, une approche sérielle inédite

Inaugurée en 1983, La Quête de l’oiseau du temps, de Serge Le Tendre et Régis Loisel, est en plusieurs points fondatrice de la bande-dessinée de fantasy médiévale. Alors que Thorgal fonctionnait en cycle et Aria par tome, elle est la première à adopter une approche sérielle typique de la fantasy (les one-shot y sont rarissimes). Dans La Quête de l’oiseau du temps, l’histoire, unique, se découpe en plusieurs albums qui obligent le lecteur à lire l’ensemble des tomes pour suivre l’intrigue. De plus, la saga s’intéresse non plus à un héros solitaire mais à un groupe lié par une quête. Les personnages principaux, allant de la guerrière pulpeuse au vieux chevalier grincheux, installent des archétypes amenés à connaitre en grand succès dans le genre.

 

L’influence du jeu de rôle : Les Chroniques de la Lune noire et Légendes des Contrées oubliées

C’est également au début des années 1980 que l’influence du jeu de rôle, et plus particulièrement de Donjons et Dragons, se fait sentir dans la bande-dessinée. En naîtra deux séries majeures : Légendes des Contrées oubliées, de Bruno Chevalier et Thierry Ségur en 1987 et Les Chroniques de la Lune noire de François Froideval et Olivier Ledroit en 1989. Leur approche du médiéval-fantastique se veut tout à fait décomplexée. Le Moyen Âge sert avant tout de matériau de base permettant toutes les transgressions de l’imaginaire. Ces deux séries vont également inaugurer la période faste pour la bande-dessinée de fantasy médiévale. Un succès grandissant qui se concrétisera par la création des éditions Soleil Production en 1989. Celle-ce se spécialise alors dans ce genre et est à l’origine d’un de ses plus gros succès : Lanfeust de Troy.

Virage humoristique et popularisation du genre : Lanfeust de Troy

Créée par le scénariste Christophe Arleston et le dessinateur Didier Tarquin en 1994, Lanfeust de Troy fait sortir la fantasy du marché de niche dans lequel le genre est souvent cantonné. Ses ventes phénoménales et son ton humoristique et parodique a eu une influence majeure sur la production ultérieure et plus particulièrement sur celle des éditions Soleil.
La production actuelle oscille dès lors entre une veine humoristique et parodique (Donjon de Joan Sfar et Lewis Trondheim ou Le Donjon de Naheulbeuk de John Lang et Marion Poinsot) et une veine plus sérieuse et sombre (Complainte des Landes Perdues de Jean Dufaux et Philippe Delaby ou La Geste des Chevaliers Dragons d’Ange).

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