Autrice belge originaire d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, Ina Siel fait son entrée sur la scène littéraire de façon assez remarquable en publiant trois romans en trois ans. Elle signe chez l’éditeur Mnémos une duologie, Emblèmes, dont le second tome, Le Secret d’Archronde, est sorti en septembre 2024. L’autrice présente un parcours aussi varié que passionnant : titulaire d’un master en biochimie et biologie moléculaire et cellulaire, elle a fondé une startup de conseil scientifique pour la fiction avant de se lancer pleinement dans une carrière d’autrice. Ses écrits s’adressent principalement aux jeunes adultes et mettent à l’honneur les littératures de l’imaginaire. Aujourd’hui, Ina Siel nous a aimablement accordé un entretien, l’occasion de revenir avec elle sur son parcours et son univers.
Apparue récemment sur la scène littéraire, vous avez déjà publié trois romans : Le Musée galactique des Choses disparues paru chez Haro en 2022 et une série en deux volumes chez Mnémos, Emblèmes dont le dernier tome est paru en septembre dernier. Trois livres en trois ans, vos débuts ont quelque chose de fulgurant ! Pouvez-vous revenir sur votre parcours en tant qu’autrice ?
J’ai la particularité (peut-être pas si particulière que ça, à vrai dire) d’avoir débuté dans l’édition traditionnelle avec une mauvaise expérience. Je parle bien sûr de mon roman Le Musée galactique des Choses disparues, qui a été publié par une toute petite maison d’édition qui commençait doucement à battre de l’aile. J’ai vu mon rêve s’effondrer semaines après semaines, et je me suis battue pendant presque une année pour récupérer les droits de mon livre. J’ai finalement eu gain de cause et la maison d’édition a fermé quelques mois plus tard. À ce moment-là, je finalisais le premier tome d’Emblèmes, et sur un coup de tête, j’ai décidé de l’envoyer à une éditrice freelance spécialisée dans le young adult, qui travaillait également pour les particuliers. Je voulais un avis franc et professionnel sur le potentiel de mon livre à être publié dans une maison plus réputée, qui saurait le porter comme il le méritait. Il se trouve que cette éditrice a eu un coup de cœur pour le roman et l’a défendu auprès d’une de mes maisons d’édition de rêve… Les éditions Mnémos, avec la suite qu’on connait.
Vous mentionnez Mnémos comme étant une maison d’édition de rêve pour vos projets de publication. Est-ce en raison de la place privilégiée qu’elle accorde aux littératures de l’imaginaire ? En effet, outre l’étiquette young adult que vous mentionnez, vos écrits s’inscrivent également dans les genres de l’imaginaire (fantastique, fantasy et science-fiction). Quelle importance accordez-vous à ceux-ci ?
Mnémos est une maison d’édition qui est très réputée dans le monde de l’imaginaire francophone pour ses ouvrages de grande qualité, que ce soit en traduction ou en littérature francophone. L’imaginaire pour moi c’est toute ma vie. Je dirais qu’un bon 95% des ouvrages de ma bibliothèque correspondent aux genres de l’imaginaire, et même si aujourd’hui je vais fureter du côté de la romance et de la non-fiction, pendant la majeure partie de ma vie je ne lisais que de l’imaginaire. C’est ce qui m’évade, c’est ce qui me fait rêver.
En tant que lectrice, l’imaginaire vous permet de vous évader et de rêver. Aujourd’hui, vous êtes vous-même autrice d’imaginaire et permettez à vos lecteurs de faire la même expérience à travers des univers que vous créez et des histoires que vous racontez. Pouvez-vous revenir plus précisément sur la naissance de la série qui vous a occupée ces dernières années, à savoir Emblèmes ? En quoi votre expérience de lectrice d’imaginaire vous a-t-elle inspirée ?
Lorsque j’ai eu l’idée d’Emblèmes, j’étais étudiante en biologie et j’avais décroché un job d’été dans un musée universitaire sur le point d’ouvrir. Je m’occupais de sélectionner les pièces et de rédiger des guides pour une partie du musée qui s’appelait Le Petit cabinet d’histoires naturelles. J’ai passé l’été entre les squelettes et les animaux empaillés, le tout dans une ambiance très particulière qui m’a marquée.
J’ai, plus tard, imaginé un univers basé sur les différentes catégories de pièces que l’on pouvait retrouver dans les cabinets de curiosités d’autrefois. C’est comme ça que les contrées d’Emblèmes (Naturalia, La Scientifica et Exotica – que je préfère nommer Oélan) sont nées. Le reste a maturé pendant deux ans avant que je ne m’attaque à l’écriture. Il me manquait le courage d’écrire sur des thématiques qui me touchent profondément, comme l’anxiété et le handicap.
Il est extrêmement difficile pour moi d’analyser l’impact de mon expérience de lectrice d’imaginaire sur mon écriture. L’imaginaire est une part de mon identité. Une évidence, autant en lecture qu’en écriture. J’écris de l’imaginaire parce que je lis de l’imaginaire, j’en ai absorbé les codes. Si on me demandait demain d’écrire un thriller, un roman historique, ou même de la littérature générale, je serais complètement perdue et incapable d’aligner deux mots.
Vous abordez une série de thématiques fortes : la santé mentale, la différence, la place des femmes, l’évolution de la technologie, des questions politiques aussi propres à l’univers que vous avez créé… Toutes ces thématiques sont portées par vos personnages qui sont souvent isolés, en marge de la société dans laquelle ils évoluent, tourmentés. Les personnages et leur psychologie semblent avoir une place centrale dans vos écrits. En effet, le lecteur les voit évoluer dans une société qui n’est pas toujours tendre avec eux, il les suit jusque dans leur retranchement et apprend à les connaître, à les comprendre au fil des pages. Pouvez-vous nous dire un mot sur votre rapport aux personnages et leur création ?
J’ai rapidement remarqué que les romans qui me transportent le plus et qui me font vivre le plus d’émotions sont les romans qui sont portés par leurs personnages. On parle parfois d’une subdivision entre les romans plot-driven (portés par l’intrigue), et character-driven (portés par les personnages). Évidemment, c’est une tendance : un bon roman repose sur une bonne intrigue ET de bons personnages, mais souvent on penche un peu plus d’un côté que de l’autre. Un exemple très parlant : par essence, un roman policier sera davantage plot-driven et une romance davantage character-driven. Dans mes tous premiers écrits, je me concentrais essentiellement sur l’intrigue, que mes personnages subissaient de façon très passive. J’ai rapidement compris qu’il leur manquait de la matière. Et par matière, je ne veux pas dire une liste de caractéristiques comme ce qu’ils aiment manger, leur taille ou leurs tics de langages. Ce n’est pas en rallongeant cette liste de courses qu’on en arrive à des personnages intéressants. Pour cela, il faut plonger au cœur de ce qui nous rend humain. De quoi ce personnage a-t-il peur ? Quel est le spectre avec lequel il se débat dans sa vie (dans le cas d’Érèbe, c’est son anxiété) ? De quoi pense-t-il avoir besoin (se terrer chez lui, ce qui rentre en conflit avec un autre besoin : gagner de l’argent) ? De quoi a-t-il vraiment besoin (de se confronter à ses angoisses, de sortir de chez lui, d’apprendre qu’il peut tisser des liens en dehors de sa famille, apprendre qu’il peut être aimé pour lui-même, malgré ce qu’on dit de lui). Ce que j’aime par-dessus tout avec cette façon de créer les personnages, c’est qu’elle permet de plonger dans les tréfonds de l’âme humaine. D’en sortir une expérience commune, qui transcende complètement les genres littéraires.
Que ce soit dans Le Cercle des Géographes ou Le Secret d’Archronde, les personnages sont confrontés à des choix, souvent difficiles à prendre pour les autres mais pour eux-mêmes également. Chaque décision prise a influencé leur parcours, les faisant traverser des épreuves qui marquent profondément. Au terme de cette série, avez-vous eu l’occasion d’emmener tous vos personnages là où vous vouliez ?
Il est très difficile de répondre à cette question sans spoiler la duologie, alors je me contenterai de dire que ce sont eux qui m’ont guidée plus que l’inverse, mais que oui, ils ont évolué au fil des pages d’une façon qui me rend très fière, et je ne changerais rien à leur parcours, ni à la fin, si c’était à refaire.
Votre duologie s’inscrit dans un monde aux multiples facettes où se mêlent exploration, évolution médicale et scientifique, progrès technologiques, magie… Dans quelle mesure votre formation scientifique nourrit-elle les univers que vous créez ?
Je ne peux pas répondre pour tous mes univers, bien sûr, mais dans le cas d’Emblèmes, la réponse est : beaucoup. On pense souvent aux scientifiques comme à des professionnels qui ont amassé un certain nombre de connaissances sur un sujet précis, et c’est le cas. Mais ce qui fait un scientifique, avant tout, c’est une manière de réfléchir, de penser et de résoudre les problèmes. Ce qu’on appelle : la méthode scientifique. Mon petit plaisir personnel, c’est de considérer la magie comme une science mal connue, et de faire réfléchir mes personnages de façon scientifique pour appréhender la magie. Pourquoi les plantes d’Oélan changent-elles drastiquement de morphologie dans le jardin du dynaste d’Archronde ? Pourquoi décomposer un organisme vivant est-il si difficile en dehors d’Oélan, alors qu’à première vue, il ne s’agit que de prendre de l’ojam et pas de donner ? J’ai adoré penser la magie de manière minutieuse et cohérente avec les sciences naturelles. J’aime aussi me dire que si un.e scientifique se plonge dans Emblèmes, j’ai laissé assez de petits cailloux pour que cette personne puisse prédire le comportement de la magie dans certaines situations qui ne sont pas abordées dans l’histoire. Un peu comme une chasse au trésor.
Dans le cadre de la Fureur de Lire 2024, événement initié par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui met à l’honneur la lecture et le livre, votre nouvelle « Ciré jaune » a été publiée sous la forme d’une plaquette. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette nouvelle ?
La nouvelle « Ciré jaune » que vous pourrez découvrir dans sa jolie plaquette est une réédition de la nouvelle du même nom parue en 2018 dans la revue Étherval. Il s’agit d’une fantasy urbaine, où l’on suit les aventures de Syméon, un jeune adulte qui est atteint d’une forme de cécité toute particulière : il est incapable de voir la magie, ses créatures ou ses manifestations. Fort peu pratique quand on partage le monde avec des créatures magiques parfaitement intégrées à la société, et que, de fait sa vision est toute trouée. J’abordais pour la première fois dans ce texte des thèmes qui me sont devenus très chers, comme l’envol loin du cocon familial et le handicap.
Dans cette nouvelle, vous abordez en effet des thématiques qui font également écho à ce que l’on peut retrouver dans Emblèmes (le handicap, l’isolement, la différence…). Vous l’avez dit, Syméon souffre d’une “cécité magique” qui l’isole de la perception du monde qui l’entoure. Comment avez-vous imaginé cette particularité, et comment reflète-t-elle, selon vous, certaines réalités du handicap dans notre société ?
J’avais envie d’écrire un personnage qui, dans notre monde à nous, serait valide, mais pas dans l’univers du récit. L’idée était de mettre en évidence qu’une grande partie de la souffrance liée au handicap vient du manque d’inclusion de la société dans laquelle on vit, et non du handicap en soi.
« Ciré jaune » se termine sur un événement percutant qui donne envie au lecteur d’en savoir plus et d’en apprendre davantage sur l’histoire de Syméon. Imaginez-vous un projet de suite à cette nouvelle ?
Pas du tout ! J’essaie toujours de faire en sorte que les fins de mes histoires ne soient pas de vrais points finaux. Que l’histoire puisse continuer un moment dans l’imagination des lecteurices. À l’origine, j’avais écrit cette nouvelle pour répondre à un appel à texte dont le thème était “pacte, administration et contrats”. J’aimais bien l’idée de faire un clin d’œil au contrat de mariage, après une nouvelle dont les événements sont initiés par un contrat de location, et de montrer que nos héros allaient encore faire un bout de chemin ensemble.
Vous développez dans « Ciré jaune » un univers de fantasy urbaine où la magie et les créatures surnaturelles sont intégrées à un contexte social indéterminé mais proche de notre époque. Dans Emblèmes vous abordez également une série d’éléments qui se rapprochent de notre monde que ce soit à travers les évolutions techniques ou le développement de villes aux accents modernes. Vous inscrivez ainsi vos histoires dans des univers qui sortent un peu de la fantasy classique, dominée par le cadre d’inspiration antique ou médiévale. Pouvez-vous nous dire un mot sur ce choix ? Qu’est-ce qui vous plait dans cette déclinaison particulière de la fantasy qui joue sur les références contemporaines au lecteur ?
C’est une question à laquelle j’ai beaucoup de mal à répondre. J’ai, pour le moment, été davantage attirée par les époques plus modernes, notamment d’inspiration victorienne pour une question d’esthétique, principalement. J’aime particulièrement la mode de l’époque. Il faut aussi savoir que j’ai écrit « Ciré jaune » au moment où je développais l’univers d’Emblèmes, et je pense que le parallèle entre les deux vient tout simplement de ce qui m’attirait le plus à l’époque. Je n’ai pour l’instant publié que ces deux textes en fantasy, et je pense que c’est trop peu pour dégager une vraie tendance concernant mes écrits. Pour l’avenir, tout est ouvert : je n’exclus pas du tout d’écrire un roman qui prendrait place dans un contexte médiéval, au contraire ! J’ai été bercée par cette fantasy-là. En revanche, et je serais bien en peine d’expliquer pourquoi, le cadre antique m’inspire un peu moins pour le moment.
Pouvez-vous justement nous parler de vos projets futurs ?
Tout ce que je peux vous dire pour l’instant c’est que je reste dans les genres de l’imaginaire. J’écris actuellement un one-shot de fantasy gothique d’inspiration conte cruel. J’ai également d’autres projets (plus longs et ambitieux) dans ma besace, mais il est encore bien trop tôt pour en parler.
Pour conclure cet entretien, nous aimerions revenir sur votre tout premier roman : Le Musée galactique des Choses disparues. Qu’envisagez-vous pour ce roman dont vous avez récupéré les droits ?
Rien du tout ! J’ai beaucoup évolué depuis l’écriture et la publication de ce roman, et même si je ressens encore beaucoup de tendresse et une certaine fierté à l’égard de son histoire et de ses personnages, Le musée galactique des choses disparues n’est plus représentatif de ce que je peux créer aujourd’hui. Récupérer mes droits a été pour moi une façon de tourner la page, sur une très mauvaise première expérience dans le monde de l’édition et de ramener cette histoire auprès de moi.