Dark romance : un phénomène éditorial

La dark romance n’est pas seulement un genre littéraire qui bouscule les codes et repousse les tabous, comme nous l’évoquions dans notre article précédent. Elle se propose aussi comme un segment commercial qui court-circuite le milieu de l’édition et réinvente les circuits du livre en sortant du schéma traditionnel de la quête pour un éditeur. En favorisant les réseaux sociaux, elle réinvente ses propres circuits et ses propres normes.

Le succès de la New Romance, et avec elle la dark romance, ne se dément pas. Pour preuve, sa présence omniprésente dans les salons et festivals du livre, où les lectrices réalisent ce qu’on appelle un bookhaul, un achat compulsif de romans. Ce que les maisons d’édition ont bien compris, c’est que la quatrième de couverture n’est plus la raison principale qui motive un achat. Les éditions collectors et autres séries limitées se multiplient. Ornées d’un jaspage, c’est-à-dire d’une décoration appliquée sur la tranche des pages, d’un vernis sélectif en relief, d’une jaquette ornementée, d’éléments holographiques ou encore d’illustrations inédites, la dark romance s’engouffre pleinement dans une brèche ouverte par les boxes de livres aux États-Unis comme OwlCrate, FairyLoot et plus timidement en France par Kube. À travers des abonnements ou des commandes exclusives, les lectrices reçoivent des coffrets qui contiennent l’édition collector d’un roman et une multitude de goodies et produits censés convoquer l’univers du livre, du marque-page à la bougie parfumée. Cette culture visuelle de la dark romance participe de l’immersion dans l’histoire, mais aussi de l’appropriation des récits qu’elle développe. L’hyperspécialisation des genres, leur réduction à des types et leur quête, à l’inverse, de scènes frappantes non encore proposées jusqu’alors, incitent les lectrices à pratiquer un rituel de lecture bien particulier, celui du marquage et de l’annotation (en anglais, tabbing) presque systématique des romans qu’elles possèdent, fièrement exposés sur les réseaux sociaux par la suite.

TikTok et Spotify : les circuits parallèles

La dark romance a, pour partie, bousculé la chaîne traditionnelle du livre. Plusieurs autrices à succès, comme Sarah Rivens et Emma Bardiau, ont fait leur début sur la plateforme d’écriture collaborative Wattpad, avant de se voir proposer un contrat d’édition par une grande maison d’édition. Pour se repérer dans le foisonnement du catalogue (on dénombre plus de 5800 récits sous l’étiquette « darkromance »), les chasseurs de manuscrits peuvent se fier aux lectures et aux votes en ligne, qui témoignent d’une communauté fidèle, déjà séduite par cette plume. C’est d’ailleurs un argument de vente directement repris sur les bandeaux, en première de couverture, et qui figure sur les quatrièmes de couverture, voire dans le titre du livre tel qu’affiché sur la plateforme Amazon. Dans la description du premier tome de la saga The Devil’s Sons (Plumes du Web, 2024-2025) de Chloé Wallerand, on peut ainsi lire « La saga phénomène Wattpad aux 7,5 millions de lectures débarque enfin sur vos liseuses ! » et pour la trilogie Fallen for the Devil (HEA, 2024) d’Irina Blake, « La trilogie dark romance au 1,2 million de lectures ».

Si Wattpad a changé la manière d’écrire, qui se pratique maintenant sur le téléphone portable, rompant ainsi avec le mythe romantique de l’écrivain assis à sa table de travail devant sa machine à écrire, il a aussi court-circuité le processus de publication du manuscrit. Dans cette aventure, certaines autrices délèguent, ou plutôt partagent le travail de correction et de production. Bon nombre d’entre elles s’entourent de bêta-lectrices, choisies pour leur connaissance du genre, quand elles ne répercutent pas directement les commentaires des utilisatrices de Wattpad sur la version finale du manuscrit. À noter qu’aux États-Unis la pratique de l’auto-édition est gage de liberté et l’assurance de pouvoir – comme pour Lauren Biel, autrice de Ride or Die Romances (auto-édition, 2023-2024), une célèbre saga de troublants auto-stoppeurs – s’affranchir de la morale, tout en s’efforçant de sortir de l’hétéronormativité. C’est là l’un des points de vigilance à retenir pour la production francophone. Si l’arrivée massive de textes traduits de l’anglais permet un certain brassage culturel, le marché francophone est en partie dominé par un modèle plutôt hétéronormatif, qui donne de la place aux personnes racisées mais est encore, pour une large part, centré sur des codes traditionnels, à rebours de ce que son caractère sulfureux pourrait laisser penser. Qu’on le veuille ou non, la dark romance, produit affectif pour ses lectrices, est, pour certains éditeurs qui dominent le marché, un produit comme un autre, un segment opportuniste qui connaît actuellement un fort intérêt économique.

À ce titre, les écrivaines cherchent constamment à raffermir les liens avec leur communauté, certaines faisant l’objet, comme Sarah Rivens, d’un phénomène de starification qui se manifeste par de très longues files au moment des rencontres-signatures, parfois même par les pleurs des admiratrices. Évidemment, toutes les autrices, pour certaines très jeunes puisqu’à peine sorties de l’adolescence, ne sont pas logées à la même enseigne et, avant d’avoir percé, il leur faut animer d’arrache-pied leur communauté, en imitant les moyens de communication employés par les grandes maisons : cover reveal, commande de fan art, sélection d’extraits aguicheurs, moodboards transcrivant l’atmosphère générale, jeux-concours, playlists Spotify à écouter pendant la lecture, etc.

De ReelShort à Kindle Unlimited : l’essor du numérique

La dark romance accompagne des métamorphoses significatives dans l’objet-livre lui-même, en investissant des médias bien différents. D’abord, nombre de lectrices de dark romance témoignent du fait qu’elles ne lisaient plus jusqu’à leur découverte du genre. D’une manière comparable à la saga Harry Potter de J. K. Rowling, la consommation de dark romance a réconcilié les lectrices avec le plaisir de lecture, qu’elles associaient, pour certaines d’entre elles, à un exercice scolaire obligé. De la même façon, et spécifiquement en France, l’instauration du Pass Culture, dispositif d’accès aux activités culturelles, a soudainement doté les lectrices adolescentes d’un forfait, qu’elles ont pu utiliser en librairie, notamment pour s’acheter les sagas de Sarah Rivens, qui caracolent en tête de ce classement.

Immanquablement, le numérique joue un rôle-clef dans la popularisation de la dark romance. D’abord, avec la généralisation des liseuses types Kindle, les lectrices ont eu accès, à un coût plus modeste, à des milliers de livres électroniques. Aussi, avec l’abonnement à Kindle Unlimited, beaucoup d’entre elles peuvent consulter une bibliothèque numérique qui donne le tournis, entre les maisons d’édition comme HEA qui mettent leur tout dernier titre en accès libre (Double jeu de Marina Koshkina, Viscérale: La traque du corbeau d’Okéanos S.) et les autrices auto-éditées, qui misent sur le paiement reversé par Amazon ainsi que la possibilité d’un buzz inattendu, à la manière d’Opal Reyne et sa saga Duskwalker Brides (2022-2024) ou encore d’Eden James avec Stalk me Baby (2025). Un autre format, encore émergent, essaye de s’affirmer sur le marché. Son coût est néanmoins prohibitif. Il s’agit du pay-per-chapter, représenté par exemple par la plateforme Galatea, qui propose de lire un récit numérique, chapitre par chapitre.

Caractéristique notable, cette habituation au fait de consommer du numérique, facilitée par les réseaux sociaux et les plateformes de streaming, permet aussi à la dark romance d’investir de nouvelles formes. Les romans ne se limitent plus au format papier et numérique, ils peuvent se présenter sous une variété de formats. Le plus évident d’entre eux n’est autre que le livre audio, consultable via des abonnements payants sur des plateformes comme Audible, Everand, Nextory et Audiolib, pour en citer quelques-unes. Loin d’estimer que le format papier est la seule manière légitime de lire — débat qui persiste encore dans le milieu des littératures de l’imaginaire — nombreuses sont celles qui recommandent à l’écoute certaines interprétations, jouées par leurs doubleurs favoris. Et pour cause, les livres audio de dark romance se présentent souvent sous la forme de « duet », c’est-à-dire que des acteurs masculins et féminins interprètent les différents rôles, sans lésiner sur l’émotion et la sensualité. Dans le paysage anglophone, les doubleurs Jacob Morgan et Joe Arden sont particulièrement appréciés.

En plus des livres audios, les dark romances ont investi le champ des romans interactifs, aussi appelés interactive dramas ou visual novels, téléchargeables via la plateforme itch.io ou l’applicaton Dorian. Dans une posture moins passive que de coutume, les joueur.se.s sont amené.e.s à faire des choix narratifs parmi de multiples possibilités, dans un but souvent immuable : séduire le vilain. L’héroïne de SlashFic, jeune femme dans un camp de vacances prise d’assaut par des serial-killers, le résume en ces termes : « Et peut-être que c’est le danger, ou la façon dont ses yeux me dévorent, ou la force de son corps… mais je le veux peut-être, moi aussi ». Ce modèle n’est pas sans rappeler les audios erotica présents sur des plateformes comme PornHub qui proposent, avec une économie de moyens manifeste (une image fixe, qui change peu), de s’adresser à la consommatrice selon des scénarios préconçus, celui du cambrioleur venu pour réclamer des faveurs sexuelles. Ce modèle narratif est amené à se pérenniser, à mesure que les plateformes à contenu audio érotiques, sur le modèle de Femstasy, se banalisent.

Enfin, signe de la popularité de la dark romance, ses codes sont directement empruntés par la toute nouvelle tendance des feuilletons verticaux, réalisés par ReelShort, dont le slogan « Chaque seconde est un drame » donne le ton. Tournés spécifiquement pour les Reels Instagram et Facebook, ces feuilletons en quelques épisodes proposent une histoire stéréotypée, rappelant les recettes de fabrique des téléfilms Hallmark (chaine de télévision américaine spécialisée dans les comédies romantiques). Parmi leur catalogue déjà foisonnant, les catégories « Mariée de substitution », « Amour-Haine », « Vengeance », « Rédemption », « Tabou » réinvestissent sans vergogne des tropes exemplaires de la dark romance. Dans Affaire Mortelle avec Mon Beau-frère, par exemple, réécriture du conte de Cendrillon visionnée près de 700 000 fois, Aurora, forcée dans un mariage sans sentiment, tombe amoureuse de son beau-frère Noah, un homme toxique.

BookTok et SmutTok : la prescription interne

L’une des caractéristiques essentielles de la dark romance est d’être parvenue à s’émanciper de la prescription littéraire extérieure, qui viendrait des journalistes, des éditeurs, des critiques littéraires et même des librairies. Les lectrices sont ainsi devenues les premières critiques du genre. Elles connaissent les tropes sur le bout des doigts, partagent leurs classements de certains titres à succès et participent même à faire sortir de l’ombre certains romans. C’est là que le BookTok tient un rôle fondamental dans leurs pratiques de lecture, en ce qu’il est autant un lieu qui s’émancipe des espaces de légitimation traditionnels, mais aussi un lieu où créer un nouvel espace de prescription, qui passe aussi par une certaine économie du charisme. Les influenceuses rivalisent d’humour et d’inventivité pour présenter leurs dernières lectures. Erin McDaniel de SinfulShelves (42 000 abonné.e.s sur Instagram), chantant en playback sur un titre sensuel, partage ses derniers coups de cœur, classés par tropes et par genres : brother’s best friend (le meilleur ami du frère, une relation amoureuse que l’on classe communément dans les romances interdites), instalove (un amour instantané ou destiné), edging (ralentir la venue de l’orgasme, voire le refuser), forced proximity (proximité physique forcée entre les personnages, par exemple lors du partage d’un lit). Les expressions utilisées sont à la fois le signe d’une économie de mots mais aussi la preuve de sa maîtrise des codes du genre. Chelseareads (322 000 abonné.e.s sur TikTok), quant à elle, a créé un format bien à elle, le « Next ! », à l’occasion duquel un lecteur néophyte vient la trouver pour une recommandation très précise et, à travers l’affinage de ses goûts, l’amène à suggérer une multitude de titres, tantôt absurdes, tantôt méconnus.

Les créatrices de contenu ne sont pas seulement à l’origine des prescriptions littéraires et des phénomènes à venir. The Reading Sisters (34 000 abonné.e.s sur TikTok) prennent très au sérieux le rôle de prévention qu’elles occupent auprès des lectrices mineures. Pour cela, elles prennent soin de barder leurs recensions d’avertissements (« Attention, ce genre est réservé à un public exclusivement majeur et averti »), et établissent même des listes de lecture adaptées à toutes les sensibilités. Pour bien commencer, elles suggèrent par exemple à la lecture la saga The Ravenhood (Chatterley, 2023-2024) de Kate Stewart, centrée autour d’un gang moins méchant qu’il n’y paraît et Still Beating (Juno Publishing, 2022) de Jennifer Hartmann. Évidemment, si les avertissements qui se trouvent en début de roman se veulent aussi larges que possible, c’est parce qu’il n’est pas toujours évident de savoir quelle scène du livre sera le déclencheur d’une émotion négative. La scène de captivité des protagonistes, enlevés par un serial-killer au début du roman, peut très bien laisser de marbre les lectrices, là où les scènes de violences intrafamiliales répétées dans la saga Trouble Maker (BMR, 2023-2024) de Laura Swan pourront heurter quiconque a été victime de ce genre d’abus.

À l’inverse, les lectrices et créatrices de contenu sont les premières à pratiquer la censure quand elles estiment que certains titres contreviennent à la loi ou à la morale. Plumes du Web en a fait les frais en mars 2024, quand la maison d’édition a voulu éditer le premier tome de la saga La Reine des détestés (auto-édition, 2019-2020) d’Ena L., une romance de science-fiction imaginant un monde dystopique où les personnes noires ont mis en esclavage la population blanche. Les lectrices se sont mobilisées sans attendre pour empêcher la publication de la franchise, arguant qu’elle nourrissait la théorie du grand remplacement, en plus de réécrire l’histoire de l’esclavage des personnes racisées. Un phénomène similaire a entouré aux États-Unis la sortie du roman Wild & Free (auto-édition, 2021) de K. Webster, titre décrivant une relation incestueuse consentie entre un père et sa fille biologique. En militant pour son retrait des sites de ventes en ligne et en filmant des critiques virulentes de l’ouvrage, les lectrices ont cherché à tracer des lignes nettes en ce qui concerne ce qui est accepté et ce qui ne l’est pas. Si cette pratique témoigne d’une prise de recul de la part des lectrices, il n’empêche pas une grande inquiétude au sein de la communauté : le président des États-Unis Donald Trump a mis sur pied une liste de livres interdits à l’école et en librairies. On y trouve notamment la saga de romantasy Un Palais d’épines et de roses (Martinière, 2017-2021) de Sarah J. Maas ou encore la saga Shatter Me (Michel Lafon, 2024) de Tahereh Mafi. Si peu de titres de dark romance figurent sur cette liste, la combinaison de plusieurs critères jugés inconvenants aux yeux du gouvernement américain (féminisme, contenu sexuel, LGBTQIA+, pensées suicidaires, etc.) laisse présager un élargissement aux autres sous-genres de la romance dans un futur proche.

Facebook et Reddit pullulent de groupes spécialisés en romance contemporaine, grâce auxquels les lectrices forment des communautés soudées. Par ce biais, elles s’informent des nouvelles parutions, partagent leurs derniers coups de cœur et, surtout, se mettent en chasse de nouveaux titres à ajouter à leur pile à lire. Sur le groupe Hooked on the Smut (164 000 membres), par exemple, une participante partage un montage montrant les personnages de Kōga et Kagome, héros du manga Inu-Yasha, pour signifier qu’elle souhaite qu’on lui recommande un roman qui développerait la même histoire d’amour, entre une prisonnière et son kidnappeur très protecteur. Volant à son secours, les membres du groupe lui conseillent de lire la célèbre saga-fleuve de science-fiction Ice Planet Barbarians (2015-en cours) de Ruby Dixon, qui suit les histoires d’amour entre de jeunes humaines et les extraterrestres Sa-khui. Ces groupes privés sont considérés par celles qui en font partie comme des safe places, des espaces bienveillants où elles ne sont ni jugées ni considérées comme des personnes dépravées pour leurs goûts de lecture parfois explicite. À cet égard, elles n’hésitent pas à partager leur vie personnelle, profitant aussi de la possibilité d’anonymiser leurs messages sur Facebook. Sur le groupe The Smuthood (229 000 membres), par exemple, une lectrice explique que l’idée de concevoir un nouvel enfant avec son mari l’excite beaucoup et qu’elle a besoin de nouvelles suggestions de lecture mettant en scène le trope de l’accouplement (breeding). Après l’avoir félicitée pour son projet d’enfant, les autres membres du groupe lui proposent un nombre copieux de romans, censés correspondre à ses attentes.

De toute évidence, ces communautés de lectrices, très nombreuses aux États-Unis et gagnant en nombre dans les pays francophones, se proposent comme de nouveaux espaces de sociabilité littéraire, où la lecture est un véhicule social qui renforce la tradition des clubs de lecture à l’ère d’Internet. Loin d’être en silo, ces groupes influencent aussi les trends et phénomènes sur les réseaux sociaux. Le fait-même que la dark romance soit lue par un public varié, pour partie des lectrices qui se découvrent à son contact une pratique boulimique, permet à ses tropes et codes de se diffuser largement dans les imaginaires numériques. Parmi eux, on rencontre par exemple le phénomène des #MaskedMen ou « hommes masqués » sur TikTok, des créateurs de contenu qui postent des photos et des vidéos de charme en masquant leur visage et en offrant aux regards leurs corps musclés et bien souvent tatoués. Si cette multiplication des contenus érotiques s’explique par la généralisation du contenu érotico-pornographique amateur via des plateformes comme OnlyFans, il n’empêche que l’imaginaire qu’il propose est directement né dans le giron de la dark romance. Inutile de remonter à Batman ou à l’Homme au masque de fer pour identifier ses influences. Les autrices, pétries de Scream et de Vendredi 13, ont publié bien des stalker romances (romance de harceleur) à succès, comme Navessa Allen avec Lights Out (Quercus, 2024), la saga The Order of the Unseen (auto-édition, 2021-2024) de Molly Doyle ou encore la saga La Toile du silence de Leigh Rivers (Contre-Dires, 2025).

Plus intéressant encore, il témoigne d’un phénomène déjà bien à l’œuvre dans l’univers de la fan fiction, celui de se réapproprier les contenus pour les tordre selon ses goûts, ses désirs et son identité (on parle alors de bending the narrative). Sur ce modèle, TikTok grouille de courts extraits, produits par des comptes comme ShortbreadLove (9583 abonné.e.s) ou VeiledVice (521 000 abonné.e.s) qui tournent en compagnie d’acteurs amateurs, des scènes iconiques de dark romance. Leur postulat ? Imaginer qu’une lectrice bascule dans ce monde stéréotypé au sein duquel des hommes masqués rentrent chez elle avec fracas ou bien la retiennent prisonnière, pour émoustiller le regardeur, friand de ce genre de scènes. Dans le même temps, nombreuses sont les créatrices de contenu qui demandent à leur compagnon de reproduire des scènes iconiques de la dark romance, d’une main encerclant la gorge à un regard langoureux, surpris dans un encadrement de porte. Entre gloussement et rouge aux joues, les jeunes femmes partagent avec leur communauté une part de leur vie intime.

La dark romance s’impose comme un espace hybride, qui dynamite la chaîne du livre. L’un de ses attraits majeurs, en plus d’évoquer continuellement la question du consentement et d’ainsi participer à mettre en lumière les désirs et plaisirs féminins, est de créer des espaces interstitiels pour ce faire, de former des communautés, qui deviennent prescriptives. Les lectrices donnent une belle leçon aux détracteurs de la dark romance. Parce qu’elles en connaissent les codes, elles sont à même d’estimer la nouveauté et l’intérêt d’un roman et, à l’inverse, d’identifier les titres qui vont trop loin. C’est en observant leurs communautés, espaces en grande partie bienveillants, qu’on peut imaginer des façons pour les libraires, adultes référents et enseignants d’accompagner ces lectures : se départir de ses préconceptions, s’autoriser à découvrir le genre, écouter ce que les lectrices en disent, pour soi-même ensuite participer de la production critique et régulatrice autour de ce phénomène, bien parti pour s’ancrer dans le paysage littéraire.

Fleur Hopkins-Loféron

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